Spoilers !
Si je peux vous donner un petit conseil, les gars (et les filles) : jeudi prochain, le 20 décembre, c'est à dire demain si vous lisez cet article en temps et en heure (et si vous lisez cet article le lendemain, ou une semaine, un mois ou un an plus tard, ben, le DVD du film existe et est facile à trouver), regardez Arte. Parce que cette chaîne, qui diffuse souvent d'excellents films que l'on voit rarement ailleurs (hier, ils ont repassé La Grande Attaque Du Train D'Or de Michael Crichton, excellent film avec Connery et Sutherland, film rarement diffusé), va rediffuser, dans le cadre d'un cycle Hitchcock, un de ses meilleurs films, sorti en 1951, L'Inconnu Du Nord-Express, alias Strangers On A Train pour son titre original. Ce film, en noir & blanc, relativement court (moins de 100 minutes ; si on compare avec les deux heures de la majeure partie des films suivants du réalisateur, qui entame ici son Âge d'Or, c'est assez court), est interprété par Farley Granger, Robert Walker (mort un mois après la sortie du film), Ruth Roman, Leo G. Carroll, Patricia Hitchcock (fifille d'Alfie), Marion Lorne, Laura Elliott et Jonathan Hale, et est une adaptation (partielle) d'un roman de Patricia Highsmith. Son scénario est, de plus, signé du grand romancier de polars noirs (et son héros récurrent, le détective privé Philip Marlowe) Raymond Chandler, celui qui a écrit Le Grand Sommeil, The Long Goodbye et Adieu Ma Jolie, je parle des romans et pas de leurs (excellentes, voire imparables) adaptations cinéma.
Si les films suivants d'Hitchcock (au débotté, La Mort Aux Trousses, L'Homme Qui En Savait Trop, Fenêtre Sur Cour, Sueurs Froides, Les Oiseaux et évidemment Psychose) sont tous des intouchables à voir et à revoir, L'Inconnu Du Nord-Express, sans doute un peu moins connu qu'eux, mérite totalement de les rejoindre dans cette énumération. Hitchcock fait son apparition habituelle en caméo. Ici, il apparaît, à la dixième minute, en voyageur qui monte dans le train avec une contrebasse ; Hitch faisait ses apparition rituelles, toujours, dans le début de ses films, car il savait que les spectateurs scruteraient le film pour le remarquer, et qu'il ne voulait pas qu'ils (les spectateurs) passent l'intégralité du film à l'attendre, au détriment du film lui-même ; il apparait au début et puis voilà, on passe à autre chose, tel était son credo. On se souvient qu'il sort de l'animalerie avec des chiens en laisse dans Les Oiseaux, qu'il attend assis dans une gare dans L'Etau... Bon, maintenant que l'on a parlé de son caméo dans le film, faisons comme il le souhaitait : on l'a vu, on passe à autre chose.
Niveau scénario, L'Inconnu Du Nord-Express est un petit chef d'oeuvre de film noir. L'action démarre dans une gare puis dans le même train. Guy Haines (Granger) et Bruno Anthony (Walker). D'abord filmés du bout de leurs chaussures, ils sont dans le même compartiment. Anthony s'étonne de se trouver dans le même compartiment que le jeune tennisman Haines, et entame avec lui la conversation, au cours de laquelle il va parler de sujets plutôt intimes concernant Haines : son divorce à venir et qui s'annonce délicat, la relation sentimentale que Haines entretient avec la fille d'un sénateur ; Anthony évoque également, parlant de lui-même pour une fois, la relation conflictuelle qu'il entretient avec son propre père. Anthony se propose alors pour en venir en aide pour régler cette situation : lui tuera la femme de Haines qui, de son côté, tue le père de Anthony, de cette manière, les deux hommes, unis dans le crime, et ayant tué chacun un parfait (ou une parfaite) inconnu(e) sans aucun mobile, seraient indécelables pour la police, les crimes parfaits. Haines ne prend évidemment pas cette proposition indécente au sérieux, et coupe là la discussion. Il oublie son briquet (personnalisé avec ses initiales et celles de son amante, Anne) dans le train.
Peu après, Haines, appelant sa femme, apprend d'elle qu'elle ne veut plus divorcer, ainsi il ne pourra pas épouser Anne. Furieux contre elle, il l'agonit de menaces de mort, puis raccroche et appelle Anthony, mais raccroche alors que celui-ci décroche le téléphone. Myriam, la femme de Haines, est assassinée par Anthony, dans un parc d'attractions, peu après ; ce dernier prend les lunettes de Myriam comme preuve, se rend chez Haines pour lui dire ce qu'il a fait, et lui dit alors de respecter, de son côté, sa partie du 'contrat' : abattre le père de Anthony. Haines refuse, et va se retrouver, rapidement, suspecté par la police pour le meurtre de sa femme, tandis que Anthony, qui l'a évidemment piégé, continue de le harceler pour qu'il commette le crime prévu. Haines se décide enfin à aller chez le père de Anthony, mais avec l'intention de tout lui révéler. Il tombe sur Anthony, qui lui annonce bientôt que le fameux briquet perdu dans le train sera placé sur les lieux du crime, et qu'il va devoir aller le chercher...
J'avais prévenu en haut d'article qu'il y aurait des spoilers ; j'ai par ailleurs révélé une bonne partie (mis à part le final, hitchcockien en diable) du film. Mais il est difficile de résumer pareil film : soit on détaille bien l'intrigue, soit on se contente de dire deux hommes dans un train, qui ne se connaissent pas, ont une discussion pas convenable sur le crime parfait ; l'un des deux refuse la proposition et va se retrouver piégé par l'autre. Un résumé rapide, qui donne envie de voir le film, mais qui ne prend qu'une ou deux lignes, qu'est-ce qu'on dit ensuite dans l'article ? C'est bon pour "Télé-Loisirs" ou un rapide résumé d'une filmographie, mais pour un article de plusieurs paragraphes, c'est peu. Désolé donc s'il y à des personnes qui ont lu l'article et ne connaissaient pas encore ce film, mais j'avais prévenu. Bon, sinon, L'Inconnu Du Nord-Express est, vous l'avez compris, un chef d'oeuvre. Un scénario diabolique, des acteurs excellents (notamment Walker), une réalisation bluffante comme Hitchcock en assurait tout le temps, et des séquences mythiques (notamment le final, que je me suis refusé à raconter, histoire qu'il y ait quand même quelque chose que vous ne saurez pas avant de voir le film, si ce n'est déjà fait). C'est un des meilleurs films du réalisateur, le début de son Âge d'Or aussi (non pas que parmi ses films précédents, il n'y ait pas de grands films, car entre La Corde, L'Ombre D'Un Doute, Les Enchaînés, Les 39 Marches et Soupçons, il y en à), qui verra Hitchcock nous livrer une série hallucinantes de classiques absolus du suspense. Celui-ci, en grande partie grâce au sens du suspense de Chandler au scénario, en est clairement un lui aussi.