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Pour ce nouvel article de "Un Oeil Sur...", après avoir parlé de l'illuminé Jodorowsky, place à un autre réalisateur assez extrémiste : David Cronenberg. Né en 1943 à Toronto, Cronenberg a d'abord étudié les sciences avant de se lancer dans le cinéma, par le biais de l'underground : il réalise, en 1966 et 1967, deux courts-métrages, Transfer et From The Drain (que je n'ai pas vus). La science sera toujours un sujet de prédilection pour le réalisateur, qui s'évertuera souvent à montrer des transmutations corporelles suite à des expériences extrêmes, des savants un peu fous, etc. Cronenberg s'est aussi fait le spécialiste des adaptations de romans jugés inadaptables (il n'en a fait que deux dans cette catégorie, mais faut voir les romans de base ; j'y reviendrai plus bas en temps et en heure), et depuis quelques années, son dernier film remonte à 2014, semble s'être quelque peu assagi, concernant ses obsessions sur le corps humain. Ce qui ne rend pas ses films les plus récents moins intéressants, au contraire !

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Son premier film, qui ne dure qu'une petite heure et est en noir & blanc, sort en 1969 : Stereo. Film qu'il a écrit, réalisé et autoproduit, interprété par des acteurs peu connus (sans doute non-professionnels ou issus de la scène underground canadienne), il est souvent couplé avec son film suivant, sorti en 1970, Crimes Of The Future. Concernant le premier film, c'est une oeuvre inclassable, une oeuvre de jeunesse aussi, un film totalement expérimental dans lequel le son et l'image ne sont pas vraiment reliés : aucune image ne correspond à ce que l'on entend, et ce que l'on entend est, globalement, le récit d'une expérience scientifique complexe. Difficile à voir, le film fut proposé, souvent, en DVD (en Europe, où il existe une édition DVD le couplant avec l'autre film, ou aux USA), en complément d'autres films de Cronenberg. C'est intéressant, un film à la Pi de Arronofsky avant l'heure, mais pas grandiose. L'autre film, Crimes Of The Future, également long d'une petite heure, est une sorte de délire, une comédie fantastique se passant dans un futur proche (1997) dans une clinique. Des produits cosmétiques causent la mort de millions de femmes, et dans sa clinique, un médecin constate que ses patients subissent de lourdes et étranges modifications corporelles. Comme pour Stereo, c'est original, expérimental, un peu vain aussi. Une oeuvre de jeunesse, mais les fans apprécieront à condition d'être un peu indulgents. Ceci dit, on trouve déjà, dans ce deuxième film, un peu des obsessions du réalisateur. 

Frissons

C'est cependant en 1974 que Cronenberg réalise son premier 'vrai' film, d'une longueur plus respectable (90 minutes) : Frissons. Comme tout films d'horreur d'exploitation de l'époque, il possède, en anglais, plusieurs titres : Shivers, The Parasite Murders, They Came From Within... Produit par Ivan Reitman (oui, je parle bien du futur réalisateur de S.O.S. Fantômes, Un Flic A La Maternelle et Beethoven !), le film se passe dans un bel et grand immeuble situé dans la banlieue de Montréal. Un scientifique un peu cinglé tente, sur une jeune femme morte, une expérience limite, lui greffant une sorte de parasite. Il se suicide après l'expérience. Le parasite s'échappe et va peu à peu contaminer tout l'immeuble, rendant ses victimes totalement dingues, tant sexuellement que psychopathiquement. Une vraie orgie de sexe et de sang va se répandre dans l'immeuble, et un jeune médecin y résidant et y travaillant va tout faire pour endiguer l'épidémie... Le film est interprété par Barbara Steele, bien connue des amateurs de films d'horreur pour avoir joué dans Le Masque Du Démon de Bava dans les années 60 (notamment), par Paul Hampton (un acteur américain) et par plusieurs acteurs qui, par la suite, joueront souvent, dans de petits rôles, dans les films suivants du réalisateur : Joe Silver, Fred Doederlein... Pour être franc, le film, source de scandale à sa sortie (notamment au Canada, car des fonds publics furent utilisés pour le financement, et quand on constatera à quoi ils ont servi...), n'est pas super bien interprété, la réalisation est parfois hésitante, et le scénario est plutôt abracadabrantesque. Mais il dégage un parfum d'oppression assez efficace, et les effets gore, souvent dégueulasses, sont bien foutus. Ce n'est vraiment pas un chef d'oeuvre, mais c'est en tout cas un film culte !

Rage

En 1977, Cronenberg fait Rage !, un film qui là aussi fut fait avec un petit budget et un certain manque de moyens, et tourné au Québec et à Montréal (visionnés en VOST, les premiers films de Cronenberg possèdent parfois des bribes de dialogue en français). Les acteurs ne sont pas très connus, si ce n'est l'actrice principale, Marilyn Chambers, de nationalité américaine, une des premières stars du X (déjà à l'époque de ce film), dans son premier rôle traditionnel, et qui est, il faut le reconnaître, bien meilleure que ce que l'on aurait pu craindre (et avis aux pervers : OK, c'était une porno-star, mais n'allez pas regarder ce film pour la voir à poil, vous serez déçus ! Mis à part sa poitrine, on ne voit rien ! Le piège a donc été évité par Cronenberg). L'histoire est au moins aussi invraisemblable que celle de Frissons : un jeune couple subit un accident de moto. Lui est légèrement blessé, elle (qui s'appelle Rose en VO, et Laure en doublage VF ; ce qui est con, car le prénom original est une allusion indirecte à ce qui lui arrive par la suite, et n'a pas été choisi de manière anodine), plus sérieusement. Elle doit subit une opération de chirurgie esthétique réparatrice dans une clinique, dont le médecin en chef, Keloid, est du genre innovant. Et un peu fou, aussi. Il lui fait pratiquer une autogreffe, après que le morceau de peau ait subit un traitement spécial. Rose s'en sort, se remet bien, mais rapidement, sous son aisselle, une sorte de protubérance, comme un dard (ou une épine de rose...), rétractable, lui pousse. Ainsi qu'une inextinguible soif de sang. Elle va se mettre, sans se contrôler, et se dégoûtant elle-même, à attaquer hommes et femmes, en les serrant contre elle et en se nourissant avec cette épine. Les victimes qui s'en sortent vont contracter une sorte de rage aussi mortelle que psychopathe, et très contagieuse... Encore une fois, ce n'est pas super bien interprété (sauf par Marilyn Chambers ; Cronenberg aurait voulu Sissy Spacek après l'avoir vu dans Carrie Au Bal Du Diable, mais un budget minimal l'en empêchera ; on voit l'affiche du film dans Rage ! au passage), et la réalisation est encore un peu hésitante. Mais l'ambiance est parfaite, glaciale, oppressante, et je trouve ce film meilleur que Frissons, mieux écrit. C'est encore une fois un film culte. 

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En 1979, deux films. Le premier est Fast Company, un film méconnu, quasiment oublié, interprété par William Smith, John Saxon (vous vous rappelez Les Griffes De La Nuit ?) et Claudia Jennings (qui mourra dans un accident de la route peu après la fin du tournage...), et qui se passe dans le monde des courses automobiles, de dragsters plus précisément. Une sorte de Le Mans ou Michel Vaillant, quelque part, et une manière, pour Cronenberg, de se diversifier, lui qui, après deux films expérimentaux et deux films d'exploitation assez gore et du genre horrifique, commençait sûrement à se faire cataloguer. Inexistant en DVD en France (il existe des éditions italiennes, allemandes, espagnoles, anglaises...), le film ne sera pas un gros succès et reste un OVNI dans la filmographie du réalisateur. Ceci dit, ne l'ayant jamais vu, je ne sais pas ce qu'il vaut. Comme je ne suis pas très fan de ce genre de films (ayant cependant adoré Rush et Le Mans malgré tout), je ne suis pas particulièrement pressé de le voir, sauf par curiosité. Je ne suis même pas sûr qu'il soit sorti en France, à l'époque ! L'autre film que Cronenberg a fait en 1979 est, lui, sorti en France, il existe en DVD chez nous, il est passé souvent à la TV fut un temps, et c'est à nouveau un film d'horreur, et un de ses meilleurs : Chromosome 3. Le casting est parfait : Oliver Reed, Samantha Eggar (Art Hindle, aussi, un acteur canadien que je ne connais que dans ce film, est loin d'être mauvais). On y trouve aussi des acteurs qui étaient des habitués des films de Cronenberg, dans de petits rôles : Nicholas Campbell, Robert Silverman, Harry Beckman. Court (90 minutes), le film possède un scénario assez étrange, mais bien écrit : un psychothérapeute un peu étrange, Raglan, qui dirire un centre novateur (Soma Free), a crée une nouvelle thérapie, les psychoplasmes. Ses patients, névrosés ou psychotiques, font apparaître sur leur corps des marques, pustules, tumeurs, qui sont en fait leurs frustrations, colère, douleurs. Une de ses patientes, Nola, qui vit séparée de son mari et de leur fille de 5 ans, semble être la patiente préférée de Raglan. Un jour, Frank, le mari de Nola, découvre des marques sur le corps de sa fille Candice et soupçonne des mauvais traitements au cours des visites de sa fille à Soma Free. Ce qu'il va découvrir, alors qu'autour de lui vont pleuvoir les cadavres, sera au-delà de tout... Le film possède des scènes grandioses (l'école, le final...), une ambiance prenante, et est vraiment flippant. Mais il faut le voir plusieurs fois pour bien piger, car c'est parfois un peu ardu. C'est un classique du genre, clairement.

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En 1981, Cronenberg réalise un film qui, pendant longtemps, fut mon grand préféré de lui, et qui est désormais un de mes grands préférés de lui avec les deux suivants : Scanners. Premier volet d'une future série de films (les autres, aucun de Cronenberg, ne sont pas bons), il est interprété par Stephen Lack, Michael Ironside, Jennifer O'Neill et Patrick McGoohan. C'est un film culte qui tient tout autant de l'espionnage, du fantastique, du gore et du suspense. Une histoire remarquable qui tourne autour de médiums aux pouvoirs destructeurs (capables de tuer par la pensée), traqués par une officine gouvernementale secrète, et qui, divisés en deux groupes (ceux qui travaillent pour l'organisation et ceux qui refusent) se vouent une lutte féroce. Un de ces Scanners, dont les pouvoirs sont assez prodigieux, est recruté afin de traquer les médiums renégats. Parmi eux, Darryl Revok, sans scrupules. Au cours d'une démonstration publique, il a littéralement fait exploser la tête d'un homme, par la force de sa pensée. Derrière Revok se trouve une curieuse société pharmaceutique, et de bien étranges secrets... Doté d'une remarquable musique de Howard Shore, brillamment interprété par Michael Ironside et Stephen Lack (Ironside, dans le rôle de Revok, est parfait, iconique), le film possède un paquet de scènes cultes : outre le final, dévastateur et inoubliable, la fameuse séquence de la tête qui explose, au début du film, est également de celles qu'on n'oubliera pas après l'avoir vue. Scanners est un des meilleurs films de Cronenberg, et sera un très très gros succès commercial (son premier vrai succès commercial). Dans le genre crossover entre fantastique et espionnage, on a rarement vu mieux. 

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En 1982 (le film sort en 1983 dans certains pays), Cronenberg réalise un film assez court (85 minutes, ce qui m'a toujours semblé vraiment court, vu la qualité du film), un de ses meilleurs, un de ses plus cultes, mais qui ne sera vraiment pas un succès à sa sortie : Vidéodrome. Dernier film canadien (l'action se passe à Toronto) du réalisateur avant qu'il ne succombe aux sirènes hollywoodiennes (si on peut dire), c'est un film fantastique interprété par James Woods (acteur que j'aime beaucoup), Deborah Harry (chanteuse du groupe de pop/rock Blondie), Sonja Smits, Peter Dvorsky et Leslie Carson. C'est le genre de film que l'on n'oublie pas. L'histoire est la suivante : le propriétaire d'une petite chaîne de TV canadienne spécialisée dans le sexe et la violence, Max Renn, tombe un jour, par le biais d'un de ses programmateurs qui a découvert ça par hasard, sur une fréquence TV en provenance probable de l'Asie, sur des vidéos très violentes montrant des hommes et femmes se faire torturer et même, probablement, tuer. Il décide, trouvant le programme (qui s'appelle Vidéodrome) aussi malsain que fascinant, de le faire diffuser sur sa chaîne. Peu après avoir commencé à faire diffuser Vidéodrome, il va commencer à subir des hallucinations aussi étranges et glauques que très réalistes. Il va peu à peu découvrir que Vidéodrome ne vient pas d'Asie, mais de Pittsburgh, Pennsylvanie, USA, et que derrière ce programme chelou et violent se cache un certain O'Blivion, un philosophe bien connu qui n'apparaît, publiquement, que via des bandes vidéo, jamais en personne. Alors que sa petite amie, assez orientée SM, veut essayer Vidéodrome pour le fun, Max, qui a de plus en plus des hallucinations barbares, va mener son enquête. Ce qu'il va découvrir... Le film, qui parle aussi bien de déviances sexuelles, de modifications corporelles et des dangers de la TV (ainsi que de réalité virtuelle, quelque part), résume parfaitement le cinéma de Cronenberg. Génialement interprété par un Woods très convaincant, se finissant de manière ambigue, et regorgeant de passages assez gore et malsains, c'est un film à réserver aux personnes averties, mais qu'il faut, vraiment, voir. Un monument. 

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L'année suivante, Cronenberg réalise, sous une production de Dino De Laurentiis (un magnat italien), son premier film américain. Même si on ne peut pas vraiment parler de Hollywood pour le coup, car bien que très sobre par rapport aux précédents films, on y trouve tout de même la patte cronenbergienne. Le film, Dead Zone, est l'adaptation d'un des meilleurs romans de Stephen King, L'Accident (renommé du titre du film par la suite, titre qui est surtout celui, anglophone, du roman), et une des nombreuses adaptations de King produites par De Laurentiis (et la meilleure, les autres étant Charlie, Cat's Eye et Peur Bleue). C'est aussi une des meilleures adaptations de King, malgré des différences. Mais le style et l'ambiance est globalement là. Le film est interprété par Christopher Walken (King aurait, au début, préféré Bill Murray, mais ne regrette pas le choix de Walken), qui est ahurissant dans le rôle. On y trouve aussi Brooke Adams, Martin Sheen, Anthony Zerbe, Herbert Lom, Nicholas Campbell, Tom Skerritt. L'histoire est connus : un jeune professeur de lycée, à la suite d'un accident de voiture, passe 5 ans dans le coma. A son réveil, il a acquis, malgré lui, un don étrange : en touchant les gens ou des objets, il peut voir leur avenir proche, ou des éléments de leur passé. Il met son don au service d'un shérif du Maine, dépassé par une série de meurtres. Un jour, au cours d'un meeting politique, il fait la connaissance d'un hypothétique futur candidat à la Présidence, Greg Stillson. En le touchant au cours d'une poignée de main, il voit que cet homme sera un jour Président, et qu'il déclenchera une guerre nucléaire... Cronenberg met de côté ses effets gore (mis à part au cours d'une petite scène, courte mais inoubliable, de suicide au ciseaux) et livre un film haletant, mélancolique et totalement kingien. Dead Zone est un chef d'oeuvre absolu (qui sera bien des années après détourné en série TV).

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Il faut attendre 1986 pour un nouveau film de Cronenberg, et ça sera encore une fois un chef d'oeuvre. Et un beau succès au cinéma (qui entraînera une très ratée suite, par Chris Walas, en 1989) : La Mouche. Sorte de remake d'un film médiocre des années 50 avec Vincent Price (La Mouche Noire), ce film est interprété par Jeff Goldblum (révélé par ce film après des tas de seconds rôles), Geena Davis et John Getz. L'histoire d'un brillant mais un peu excentrique scientifique, Seth Brundle, qui a conçu une machine capable de téléporter des objets ou êtres vivants (même si les premières tentatives sur des animaux sont peu concluantes et assez salissantes). Il fait un soir, dans une réception, la connaissance d'une journaliste scientifique qu'il attire chez lui, dans son loft/laboratoire/atelier afin de lui présenter son invention. Ils tombent amoureux. Un soir, bourré, Seth se téléporte, et l'expérience fonctionne parfaitement...sauf qu'il n'a pas remarqué qu'une mouche était entré avec lui dans le premier module de téléportation, et qu'elle n'est pas ressortie du second. Il ne le sait pas, mais il a fusionné avec elle. Il va rapidement constater des changements importants (physiques, reflexes, force) dans son métabolisme, va progressivement devenir une sorte de mutant homme-mouche... Parabole sur la maladie (et plus précisément sur le Sida), La Mouche est un des rares films d'horreur gore (certains passages sont assez hard) à être aussi flippant et écoeurant qu'émouvant (le final). Goldblum est parfait, le film est super bien écrit, les effets spéciaux sont à tomber (pour l'époque), et ce film est, dans l'ensemble, un des meilleurs du réalisateur. 

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Deux ans plus tard, c'est un David Cronenberg désormais bien implanté, rapport au succès de ses deux précédents films, qui livre Faux-Semblants, avec Jeremy Irons (dans un double rôle), Geneviève Bujold et, dans un rôle secondaire, Stephen Lack (acteur principal de Scanners). Ayant obtenu le Grand Prix à Avoriaz en 1989, c'est un film marquant et assez paranoïaque sur la gémellité. Deux jumeaux (que Jeremy Irons interprète tous deux, évidemment), tous deux gynécologues de renom, partagent absolument tout : leur appartement, leur clinique, leurs relations amoureuses. Un jour, une jeune femme consulte l'un d'entre eux, qui tombe amoureux d'elle et refuse de la partager avec son frère... Jeremy Irons est juste excellent dans ce double rôle, c'est un de ses meilleurs films, et le scénario, qui joue à fond sur la gémellité (on y trouve même deux prostituées jumelles !), est haletant, oppressant. Pas mon préféré de Cronenberg, mais sans doute un de ses meilleurs films. Ce qui n'est pas vraiment le cas de son film suivant, réalisé en 1991, Le Festin Nu. Interprété par Peter Weller (alias Robocop dans le film original de Verhoeven), Judy Davis, Ian Holm, Julian Sands et Roy Scheider, ce film est une adaptation du roman du même nom, de William S. Burroughs. Si vous avez lu le roman, vous savez qu'il est inadaptable, tant il est complexe, aussi bien dans son histoire que son écriture. C'était courageux de la part de Cronenberg d'adapter ce roman (et le film se base, en fait, plus sur des éléments de la vie de Burroughs, personnage tourmenté, que de son roman), mais malgré l'excellence des acteurs et des effets spéciaux réussis, Le Festin Nu se vautre un peu. Ce qui était quasiment prévisible. En même temps, ça aurait pu être pire. Cronenberg aurait pu vouloir adapter La Machine Molle (autre roman de Burroughs, qui est encore plus expérimental).

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En 1993, après le semi-échec du Festin Nu, Cronenberg sort un film étonnant et comptant parmi ses oeuvres les plus atypiques : M. Butterfly. Le film est interprété par Jeremy Irons, qui retrouve son réalisateur de Faux-Semblants, et par John Lone (Le Dernier Empereur), Barbara Sukowa et Ian Richardson. Ni film de suspense, ni film d'horreur, ni film fantastique, mais un drame basé sur une pièce de théâtre de David Henry Wang (qui signe le scénario adapté), M. Butterfly raconte l'histoire d'un homme travaillant, en 1964, comme comptable à l'ambassade de France, en Chine, qui tombe amoureux d'une diva, qui s'avère en fait être un homme travesti en femme. Le titre du film, et de la pièce de théâtre initiale, est un jeu de mots sur Madame Butterfly, l'opéra de Puccini. Original dans la filmographie de l'auteur, M. Butterfly est un film courageux, coincé, dans la filmographie de Cronenberg, entre deux autres films courageux. Le réalisateur prend des risques dans les années 90. Cependant, je dois dire que ce n'est pas passionnant de bout en bout, ce n'est pas un grand film. Irons et Lone (troublant dans un rôle que l'on pense d'abord être féminin) sont excellents. Trois ans plus tard, Cronenberg livre une nouvelle adaptation de roman, et encore une fois, d'un roman jugé inadaptable. Par parce qu'il est écrit bizarrement ou que son histoire est d'une trop grande complexité, mais parce que son histoire est si sulfureuse que l'on aurait peine à imaginer un film sur ce sujet. Mais, en 1996, Cronenberg réalise Crash, d'après le roman éponyme de J.G. Ballard. Interprété par James Spader, Holly Hunter, Elias Koteas, Deborah Kara Hunger et Rosanna Arquette, le film est, comme le roman (mais le roman va plus loin), très malsain : l'histoire d'un homme (Ballard lui-même) qui, après avoir réchappé à un accident de voiture, fait la connaissance d'un homme passionné, obsédé, par les accidents automobiles célèbres (celui de James Dean, qu'il fait reconstituer à l'identique avec des cascadeurs). Lui-même va rapidement éprouver une aussi irrépréssible que malsaine attirance sexuelle pour les crashes automobiles, faisant l'amour à sa femme (ou à d'autres) dans des voitures accidentées, notamment... Un film éprouvant, glauque, assez réussi, qui fera scandale, comme le roman l'a fait à sa publication en 1973. Mais je préfère le roman. 

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Retour à du fantastique en 1999 avec eXistenZ, film interprété par Jude Law, Jennifer Jason Leigh, Ian Holm, Willem Dafoe. Plus de la science-fiction qu'autre chose (Cronenberg en parle comme de son film 'dickien', sous influence de l'oeuvre du génial Philip K. Dick, avec des allusions à son magistral roman Le Dieu Venu Du Centaure), le film aborde le cas de la réalité virtuelle, comme Matrix qui date de la même année (et qui, sincèrement, bien que très complexe, est nettement plus réussi que le film de Cronenberg), ou comme, dans un sens, un des premiers films du réalisateur, Vidéodrome. L'action se passe dans le futur (un futur proche), dans lequel les joueurs de jeux vidéos sont reliés à un monde virtuel grâce à une console (appelée 'pod'), qui se connecte directement au système nerveux du joueur. Mais le nouveau jeu conçu par Allegra Geller va entraîner une situation cauchemardesque, avec l'intervention, au cours d'une démonstration, d'un groupe de "Réalistes", qui veulent fuir la réalité virtuelle et la technologisation de l'humain, pour prouver que la vraie vie est meilleure que la fausse. Jouer à ce nouveau jeu devient donc périlleux, il faut survivre plutôt que de jouer. eXistenZ est visuellement bien foutu, mais assez brouillon. Dans le genre 'réalité virtuelle', comme je l'ai dit, Matrix est supérieur, sans oublier le récent Ready Player One de Spielberg. Ce cru 1999 n'est vraiment pas un des meilleurs films de Cronenberg, c'est même un de ses moins réussis, je pense. Bref, je n'aime pas. 

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En 2002, Cronenberg réalise Spider, interprété par Ralph Fiennes, Bradley Hall (dans le même rôle, mais jeune), Miranda Richardson et Gabriel Byrne. Le film est très sombre (rien que l'affiche donne le ton) et  est une sorte de croisement entre Birdy et L'Antre De La Folie. L'histoire d'un jeune homme, Spider, interné dans un asile londonien depuis des années, souffrant de schizophrénie, persuadé, depuis ses 12 ans, que son père a tué sa mère pour la remplacer par une prostituée. Après des années d'internement, il est libéré pour être transféré dans un foyer de réinsertion. Se replongeant dans ses souvenirs douloureux, il décide demener une enquête pour savoir s'il délirait vraiment ou s'il était dans le vrai. Ralph Fiennes est juste excellent dans ce rôle difficile et intérieur. L'ambiance globale de ce film est oppressante, totalement prenante, et le film est une belle réussite, le meilleur de Cronenberg depuis, disons, Faux-Semblants, ce qui n'est pas rien. Trois ans plus tard, en 2005, Cronenberg change radicalement de style avec une autre belle réussite, adaptée d'un roman graphique de John Wagner, A History Of Violence, interprété par Viggo Mortensen, Maria Bello, Ed Harris, William Hurt et Ashton Holmes. L'histoire d'un homme paisible vivant dans l'Indiana avec sa famille, un homme sans histoires. Un soir, deux hommes, s'apprêtant à faire une tuerie, entrent dans son restaurant. Il les tue, en quelques secondes, par réflexe, quasiment sans réfléchir, en état de légitime défense, et devient le héros de sa ville. Peu après, un homme, mafieux, débarque dans son restaurant, et l'appelle Joey, ce qui n'est pas son nom. Apparemment, il le prend pour un ancien chef de gang, réputé pour sa violence. Ce qu'il était, apparemment, dans sa jeunesse... Un film sombre sur la violence, la culpabilité, le changement de vie, dans lequel Viggo Mortensen s'éloigne complètement du rôle qui l'a rendu célèbre (Aragorn) et livre une prestation épatante. Le titre du film signifie aussi bien 'histoire de la violence' que 'avoir un casier judiciaire'. 

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En 2007, Cronenberg recollabore avec Viggo Mortensen pour Les Promesses De L'Ombre, dans lequel jouent aussi Vincent Cassel, Naomi Watts, Armin Mueller-Stahl. Encore une fois un film sombre, Cronenberg n'ayant jamais réalisé de comédies (je pense que Fast Company doit être son film le plus léger, mais comme je l'ai dit plus haut, je ne l'ai pas vu). Le film se passe à Londres. Une sage-femme récupère, sur le corps d'une adolescente décédée aux urgences en y donnant vie à une petite fille (qui survit), un journal intime. D'origine russe, la sage-femme, Anna, ne maîtrise pas suffisamment la langue pour y lire le journal, écrit en cyrillique. Elle fait traduire le journal intime, dans l'espoir que le nom du père s'y trouve. Grâce à une indication du journal, elle se rend dans un restaurant russe de Londres, dont le patron (elle l'ignore) est le chef d'un puissant clan de la mafia russe. Anna va plonger dans cet univers aussi sombre qu'impitoyable... Acteurs épatants (Mortensen est, dans le rôle du chauffeur personnel du fils du chef de gang, imparable), réalisation sobre, le film, assez violent (une scène de baston au couteau, dans un sauna, est très graphique), est sans doute un des meilleurs du réalisateur, qui se diversifie vraiment, semble avoir vraiment oublié son début de carrière. Il faudra attendre 2011 pour un nouveau film, ça sera à nouveau avec Viggo Mortensen (et Vincent Cassel), avec aussi Keira Knightley et Michael Fassbender : A Dangerous Method. Un drame historique basé sur les relations assez mouvementées entre Carl Gustav Jung, Sigmund Freud et Sabina Spielrein, patiente de Jung et future psychanalyste, juste avant la Première Guerre Mondiale. Le film est bien interprété, mais n'est pas le plus intéressant du réalisateur, je passe donc sans trop de regrets. Ca reste un film très correct, mais pas le meilleur du réalisateur.

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En 2012, Cronenberg réalise une adaptation d'un roman de Don DeLillo : Cosmopolis. Le film est interprété par Robert Pattinson, Paul Giamatti, Juliette Binoche, Jay Baruchel, et est à la fois un drame et un thriller, l'histoire d'un jeune homme (28 ans), déjà multimilliardaire. Il se rend, en limousine, chez son coiffeur, à New York. En raison d'une visite du Président à Manhattan et de l'enterrement d'une star du rap dans la ville, le parcours de la limousine est perturbé. De plus, Eric est persuadé qu'il va mourir dans les 24 heures, vraisemblablement assassiné. Sorte de Bûcher Des Vanités moderne, le film est donc une adaptation de roman, roman que l'auteur lui-même jugeait inadaptable (vu que Cronenberg a auparavant adapté deux romans inadaptables, en 1991 et 1996, je ne pense pas que ça lui faisait peur). A la base, c'est Colin Farrell qui devait jouer le rôle principal, mais il était pris par le tournage du remake de Total Recall. Pattinson, un choix des plus opportunistes vu le succès des Twilight et son statut de nouveau sex-symbol du cinéma, n'est pas mauvais, mais ne convient pas vraiment. Le roman, qui a quelque peu anticipé la crise de 2007 (il a été écrit en 2003), est nettement meilleur que son adaptation, qui n'est encore une fois pas ce que le réalisateur a fait de mieux, mais, là aussi encore une fois, Cronenberg est courageux, il a essayé, encore une fois, d'adapter un livre difficile. Rien que pour ça, il faut voir le film. Deux ans plus tard, Maps To The Stars, dernier film de Cronenberg à ce jour, est interprété par Julianne Moore (qui a obtenu un prix à Cannes pour ce rôle), John Cusack, Mia Wasikowa et, encore une fois, Robert Pattinson. L'histoire d'un psychologue ayant connu le succès grâce à des livres de développement personnel et de sa femme, qui s'occupe de leur fils de 13 ans, star de cinéma pour jeunes, qui vient de se faire désintoxiquer. Leur autre enfant, une fille, de 19 ans, est internée. La rencontre avec un chauffeur désireux de percer dans le cinéma va bouleverser sa vie. Un film assez insipide, pour tout dire, assez prise de tête... Mais c'est un avis personnel. La filmographie de Cronenberg, pour le moment, se termine sur ce film décevant. En attendant le prochain ?