Spoilers...
Mort en mai dernier, Tom Wolfe, qui avait l'habitude de toujours porter de sublimes costumes blancs (avec chapeau) et vouait un culte aux auteurs naturalistes (Zola, Flaubert) ainsi qu'à Balzac notamment, était un journaliste et romancier de génie. Peu de romans, mais que des réussites. Il n'a pas écrit que des romans : en 1979, il a publié un livre remarquable, sorte de documentaire romancé (à la manière du De Sang-Froid de Truman Capote, ou de son propre Acid Test), qui sera un gros succès et sera adapté quatre ans plus tard au cinéma, en 1983 donc. C'est bien entendu L'Etoffe Des Héros (le livre porte le même titre, et en VO, les deux oeuvres s'appellent The Right Stuff), un film qui a fait date, récoltera quatre Oscars (des Oscars techniques cependant : montage, son, effets spéciaux, plus la musique de Bill Conti) et reste encore aujourd'hui, malgré son âge et sa durée (190 minutes) qui, entre nous, passe merveilleusement bien tant on ne s'ennuie pas un instant, une référence du genre. Quel genre, au fait ? S'il fallait faire entrer ce film réalisé (et scénarisé, d'après le livre) par Philip Kaufman dans une catégorie, ça serait le film historique. Mais difficile de parler de film historique quand la période qu'il narre est très proche de la nôtre (de 1947 à 1963) ! Ce n'est cependant ni un film d'aventures, ni un film de science-fiction, ni un drame, ni une comédie (encore que le film soit parfois drôle).
En fait, c'est un documentaire avec acteurs, quelque part, un docu-fiction. Si les vrais personnages (certains, en 1983, et même en 1979 au moment de la sortie du livre, étaient hélas morts ; beaucoup le sont désormais, rapport au temps qui passe) avaient joué leurs propres rôles, L'Etoffe Des Héros serait un documentaire. Mais il est interprété par, excusez du peu, Ed Harris, Scott Glenn, Sam Shepard, Dennis Quaid, Fred Ward, Lance Henriksen, Barbara Hershey, Pamela Reed, Levon Helm (batteur du Band à la base), Scott Wilson récemment décédé, Harry Shearer et Veronica Cartwright. Plusieurs des acteurs du film (Harris, Quaid, Glenn, Henriksen même si son rôle est secondaire et quasiment muet) ont été révélés par ce film, dans lequel on aperçoit aussi, le temps de quelques séquences franchement drôles, Jeff Goldblum, trois ans avant qu'il n'explose à la face du monde via La Mouche de Cronenberg. J'ai parlé des acteurs, du fait que le film soit une adaptation de livre, j'ai même parlé, rapidement, du grand et regretté Tom Wolfe, mais de quoi parle The Right Stuff ? Si vous n'avez encore jamais entendu parler du film, la vision de l'affiche et des photos devrait logiquement vous donner la réponse. Ce film parle des débuts des programmes spatiaux américains, des pionniers de la nouvelle aéronautique ricaine aussi. L'action démarre en 1947, dans une base aérienne californienne, Muroc Army Air Field. Une base reculée qui est le lieu de plusieurs drames : des pilotes d'essai tentent, les uns après les autres, de franchir le mur du son, mais échouent tous avant d'atteindre Mach 1. Chuck Yeager (Sam Shepard), pilote chevronné, décide, aux commandes du X-1, un avion-fusée largué en plein vol par un autre avion, de tenter le coup, malgré l'avis de sa femme Glennis (Barbara Hershey). Contre toute attente, il y parvient, devenant le premier pilote à franchir le mur du son (un gigantesque bang ! faisant vrombir les vitres de la base retentit alors).
1953. De jeunes pilotes, dont Gordon 'Gordo' Cooper (Dennis Quaid) et Virgil 'Gus' Grissom (Fred Ward), arrivent à Muroc, avec la ferme intention de prouver au monde entier que, putain, ils sont les meilleurs. Mais pour Pancho (Kim Stanley), la patronne du bar de la base, les meilleurs sont sur le mur du fond, en photo, et tous sont morts en vol. Chuck Yeager est toujours là, mais ne semble plus trop chercher à battre des records, même si, quand un pilote franchit Mach 2 (le premier à le faire), il s'empresse de monter dans son avion pour dépasser d'un peu le record, à son tour. En 1957, les Russes envoient Spoutnik (le premier satellite) dans l'espace. Pour le Président américain, Dwight Eisenhower, fortement anti-communistes, c'est la goutte de trop, il faut lancer le programme spatial, envoyer des hommes dans l'espace avant les Soviétiques. On engage alors des pilotes d'essai de l'armée, car eux seuls seraient à même d'avoir les capacités physiques et mentales (et la discipline) pour une telle mission. Parmi les pilotes qui, d'un peu partout, se proposent, sept sont engagés, après des tests d'une grande dureté. Parmi eux, Gordo et Gus, mais aussi John Glenn (Ed Harris), Alan Shepard (Scott Glenn)...
Le programme Mercury. Les sept futurs astronautes, très soudés, deviennent, avant même leurs exploits, des héros. Mais pour le premier vol, on envoie...un singe (qui revient en très bonne forme de son voyage). Quand, en 1961, les Russes envoient, encore une fois en premier, un homme dans l'espace (Gagarine), les Américains ripostent en envoyant Shepard. Qui pissera dans sa combinaison, ne pouvant se retenir, l'attente étant vraiment trop longue entre son installation dans le module et la mise à feu (le vol, lui, ne dure qu'une vingtaine de minutes) ! Après un vol à moitié foiré (Grissom, dans le module, une fois amerri, panique et fait ouvrir la trappe de sécurité, faisant couler le module), on envoie John Glenn pour un vol prolongé, là encore pour faire la nique aux Russes. D'autres vols suivront, entraînant une admiration sans failles de la part des masses. De la base de Muroc, où il est toujours en poste, Yeager admire, lui aussi, ces jeunes pilotes. Lui aussi a des idées de grandeur, dans son domaine : il va faire un vol d'essai d'un nouveal avion, un Lockheed NF-104A, avec lequel, sans autorisation, il embarque pour un vol extrême : parvenir à aller le plus haut possible, aux confins de l'espace...
N'ayant pas été un très gros succès à sa sortie (il fut en revanche globalement acclamé par la presse), L'Etoffe Des Héros est un chef d'oeuvre du genre, sans doute le film-référence sur la conquête spatiale, l'espace et l'aéronautique. D'autres films sur le sujet sont vraiment réussis, notamment Apollo 13 de Ron Howard (dans lequel joue Ed Harris), et un film sur Neil Armstrong (dont on ne parle pas du tout dans L'Etoffe Des Héros, le film s'arrêtant à 1963) vient de sortir, sans doute très bien. Mais je pense que ce film de 1983 reste le summum. Malgré sa longueur (3h10) il n'est jamais chiant. Les acteurs sont absolument géniaux, et on notera à ce titre un truc rigolo : deux des acteurs s'appellent Glenn et Shepard. Deux des personnages principaux aussi (mais Alan Shepard est joué par Scott Glenn, et John Glenn par Ed Harris) ! La réalisation de Philip Kaufman, aussi réalisateur du premier remake de L'Invasion Des Profanateurs et de Soleil Levant, et aussi scénariste (Josey Wales, Hors-La-Loi, Les Aventuriers De L'Arche Perdue pour l'histoire initiale), est impeccable. La musique est sublime, la photographie aussi. L'alternance entre images d'archives (avec, comme ça sera le cas par la suite pour Forrest Gump, des inclusions des acteurs dans les séquences d'archives) et le film lui-même accentue le côté documentaire. Le film, à voir absolument, est passionnant de bout en bout, que l'on soit, ou pas, fanatique de l'aérospatiale.