Spoilers...
Le titre de ce film rappellera des souvenirs (et généralement, des bons, voire même d'excellents) aux cinéphiles éclairés et/ou aux fans de science-fiction. Solaris, sorti en 2003 et réalisé par Steven Soderbergh, est effectivement le remake du film que le réalisateur soviétique Andreï Tarkovski a réalisé en 1972 (et dont on a toujours parlé comme étant une sorte de réponse soviétique au 2001 : L'Odyssée De L'Espace de Stanley Kubrick), lequel Solaris de 1972 était déjà, à la base, une adaptation d'un roman de Stanislas Lem (auteur polonais de SF) paru en 1961 (et qui avait déjà été adapté, en 1968, pour la télévision soviétique, da, da). Le roman de Lem est un pur chef d'oeuvre, un livre-univers (l'auteur ayant conçu toute une ribambelle de détails tels qu'ouvrages de scientifiques s'étant penchés sur la planète-titre, et les différentes manifestations de l'Océan de la planète-titre, avec un soin tout scientifique et l'ensemble sonne vraiment crédible et réaliste) passionnant à lire. Le film de Tarkovski, métaphysique, lent et cryptique, est lui aussi un chef d'oeuvre absolu.
Donc se pose la question cruciale : fallait-il passer derrière Tarkovski et oser faire un remake, hollywoodien de surcroît (je le rappelle, le roman est polonais, et le film initial, soviétique), de Solaris ? Tout Soderbergh qu'il soit, Steven a quand même osé (et avant lui, James Cameron tentera pendant des années de faire le film) faire quelque chose de blasphématoire. Et le tout, avec un film d'une durée des plus rikiki : il dure, en effet, 1h35 (1h40 avec le générique de fin), soit grosso merdo une heure de moins (50 minutes de moins, en fait) que le film de Tarkovski ! Niveau casting, on a George Clooney, Natasha McElhone, Ulrich Tukur, Viola Davis, Jeremy Davies et John Cho. Le scénario est signé Soderbergh, adapté évidemment du roman de Lem, qui est crédité (difficile de faire autrement). Mort en 2006, l'auteur du roman, qui n'a jamais été très tendre avec la SF américaine (il estimait que Philip K. Dick excepté, tous les auteurs de SF américains se valaient et étaient médiocres), et qui avait annoncé détester le film de Tarkovski, a avoué ne pas avoir vu le remake de Soderbergh, ce qui ne l'a pas empêché de le qualifier de remake du film de 1972 plutôt que de nouvelle adaptation du roman (c'est cependant ainsi que Soderbergh a voulu qu'on voie son film).
Le film, a sa sortie (en début d'année 2003 pour nous, fin 2002 pour les USA), a reçu des critiques pour le moins partagées : certains ont adoré, d'autres détesté, beaucoup ont essayé de comprendre pourquoi il fallait faire un remake de ce film... Un peu comme si quelqu'un voulait faire un remake de Blade Runner (au passage, sa suite, sortie récemment, est visuellement excellente, mais sinon, franchement médiocre, j'ai trouvé). On lui dirait sûrement : pardon ? mais trouve une autre idée, veux-tu ? et on aurait probablement certainement raison. Commercialement parlant, le Solaris cuvée 2002 a à peu près aussi bien marché que n'importe quel autre film ayant reçu des critiques aussi partagées et dont on ne voit toujours pas, 15 ans plus tard, son utilité. Bref, ça a été un relatif bide commercial un peu partout dans le monde, échec que George Clooney estime ne pas être à cause de la promotion du film, mais du fait que pour beaucoup de monde, faire un remake de Solaris était difficile et inutile, et qu'une incompréhension globale du projet de Soderbergh a causé ce bide.
L'action se passe dans un futur proche mais non daté. Chris Kelvin (Clooney) est un psychologue à la vie morne, et dont la femme, Rheya (Natasha McElhone), est morte, suicidée quelques années plus tôt. Un jour, il reçoit, chez lui, la visite de deux employés de la DBA (une agence spatiale, la NASA du futur) qui lui apportent un message vidéo de Gibarian (Ulrich Tukur), un de ses amis, qui se trouve dans une station en orbite autour de la mystérieuse planète Solaris, une planète constituée d'un gigantesque océan au comportement étrange. Gibarian, dans son message, lance un appel au secours à Kelvin, mais reste dans le flou. Kelvin n'a d'autre choix que de se rendre sur place, et à son arrivée dans la station Prometheus, il va découvrir des traces de sang et deux corps : celui de Gibarian, notamment. Des cris étranges, des bruits qui ne le sont pas moins, un enfant étrange qui rôde dans les coursives alors qu'il n'y a, dans la station, que des adultes, notamment (et en nombre limité)...
Il ne reste, d'ailleurs, que deux personnes : l'informaticien Snow (Jeremy Davies) et le médecin de l'équipage, Gordon (Viola Davis ; un personnage crée pour le film, absent du roman et du film de 1972). Tous deux semblent sous le choc, en état de tension. Les interrogeant, Kelvin apprend qu'il se passe des choses vraiment étranges autour de Solaris, des manifestations curieuses et troublantes qui sont peut-être causées par la proximité avec la planète-océan. Apercevant Rheya à ses côtés, dans sa cabine, après qu'il ait rêvé d'elle, Kelvin, qui sait qu'elle est morte depuis des années, est lui aussi troublé : elle est là, elle lui parle, il peut la toucher, et elle semble même être, quelque part, consciente que son existence dans la station est impossible, elle se sait morte. Solaris, en réalité, crée des copies de personnes ayant compté dans la vie de ceux qui cotoient un peu trop longtemps la planète. Des personnes décédées, bien entendu...
Différant pas mal du roman et du premier film par moments (le final, notamment, n'a rien à voir ; il est à peu près aussi mytérieux que celui du film de 1972, mais dans un autre genre), Solaris version 2002 est un bon, très bon film de SF à tendance drame psychologique, mais uniquement à condition de parvenir à faire abstraction du fait qu'il s'agisse d'un remake. J'ai limite envie de dire qu'il est ardemment conseillé de ne pas avoir vu le film de Tarkovski, ni lu le roman de Lem, pour vraiment apprécier ce film. Mais si vous êtes comme moi un cinéphile passionné, nul doute que vous avez sûrement déjà vu le film de 1972 (pour ce qui est du roman, il est surtout lu des fans de SF purs et durs, ce n'est pas un best-seller, on le trouve facilement mais ça reste une oeuvre de niche), et donc, ben, c'est déjà mal barré. Difficile de ne pas faire la comparaison avec le film de Tarkovski en regardant celui de Soderbergh, et malgré toute la meilleure volonté du monde, la comparaison ne sera jamais en faveur du remake.
Déjà, sa courte durée est un frein redoutable : certains trouvent sans doute qu'avec 2h25, le film de Tarkovski est un peu long (surtout qu'il est basé sur un rythme lent, contemplatif, ce n'est pas de la SF d'action, et le remake de Soderbergh non plus), mais avec 95 minutes, celui de Soderbergh est, lui, trop court ! Ensuite, le film de 1972 possède une ambiance inoubliable, une bande-son (d'Artemiev) sublime et elle aussi inoubliable, des images sublimes ; iconiquement parlant, cinéphiliquement parlant, Solaris version 1972 est un monument intouchable de la SF et même du cinéma tout court. Son remake, fait 30 ans plus tard, possède des décors et effets spéciaux plus modernes, et une touche hollywoodienne (et encore...l'ambiance globale est tout de même assez bergmanienne, rapport au sujet), la présence de la star George Clooney qui, sincèrement, est crédible en Kelvin, et tire bien son épingle du jeu. Il diffère aussi sensiblement du roman et du film de 1972 par moments, suffisamment pour qu'on ait envie d'y croire, et pour qu'on parvienne un petit peu à faire abstraction de ses glorieux prédécesseurs...mais ce n'est pas suffisant tout de même. Pour résumer, Solaris version 2002 est un remake inutile mais courageux, un bon film mais clairement pas un grand film, et il est vraiment difficile de l'apprécier pleinement, pour ce qu'il est, l'ombre de ses aînés étant quand même trop imposante.