Frantic

Spoilers...

La vie de Roman Polanski est des plus atypiques (et parsemée de drames) : naissance à Paris de parents juifs Polonais, il a passé une partie de la Seconde Guerre Mondiale (enfant, il est en effet né en 1933) en Pologne, justement, dans le Ghetto de Cracovie, a échappé de justesse à la déportation (hélas, une bonne partie de sa famille n'aura pas cette chance), a ensuite vécu dans une Pologne délabrée et y fera ses premières armes cinématographiques avant de se faire remarquer et de tourner en Angleterre (Cul-De-Sac) et finalement aux USA. Sa femme, Sharon Tate, enceinte, rencontrée en 1967 sur le tournage du Bal Des Vampires, se fait assassiner par les sbires de Charles Manson en 1969, ainsi que d'autres personnes. En 1977, alors qu'il vient de tourner et de sortir (l'année précédente) son chef d'oeuvre Le Locataire, premier de ses films tournés en France, il est accusé de viol sur mineure, aux USA, et se verra interdire l'accès aux USA (après avoir purgé deux mois en prison). Sentant bien que le juge du procès pourrait bien, s'il le désirait, l'envoyer en prison pour le reste de ses jours, Polanski décide de se la jouer sécurité, et ne refoutra plus les pieds aux USA pendant plusieurs dizaines d'années. Sa victime, de son côté, n'aura eu de cesse de clamer, durant ces dernières années, qu'elle était certes mineure (16 ans), mais consentante. 

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La vie de Paul en Ski (ah ah) a donc été émaillée de drames, de tensions. Sa carrière au cinéma aussi. Le bonhomme (dont le dernier film, D'Après Une Histoire Vraie, a récolté de très méchantes critiques à sa sortie et semble, d'ailleurs, être un de ses moins bons) a aligné les succès commerciaux (Rosemary's Baby, Répulsion, Chinatown, Le Pianiste, Le Bal Des Vampires, Tess), les échecs (Pirates, Carnage, Lunes De Fiel, La Jeune Fille Et La Mort), les films cultes (Le Locataire, Cul-De-Sac, Macbeth) et se paie même le luxe d'avoir dans sa filmographie un film tellement bizarre (jusque dans son titre), tellement ahurissant de dinguerie, qu'il en est inchroniquable (et sera un retentissant bide commercial, d'ailleurs) : Quoi ?, avec Sydne Rome, Hugh Griffith, Marcello Mastroianni et Polanski lui-même, qui a parfois joué l'acteur dans ses films. Parmi les films de Polanski, il y en à un qui mérite amplement la (re)découverte. C'est un film qui, dans la filmographie du réalisateur, est coincé entre un très bon film d'aventures ayant lamentablement échoué au box-office (Pirates, 1986, qui était son premier film en sept ans) et un drame psychologique teinté de SM, malsain et franchement moyen (Lunes De Fiel, 1992). Sorti en 1987 (1988 pour la France), tourné en français et en anglais, constitué en majeure partie d'un casting français et tourné intégralement à Paris, le film sera pour Polanski l'occasion de faire la connaissance de celle qui deviendra (et est toujours) sa femme, Emmanuelle Seigner, et il s'appelle Frantic.

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Le film est interprété par Harrison Ford, Emmanuelle Seigner, John Mahoney et Betty Buckley, et on trouve aussi, dans des rôles plus ou moins importants, plusieurs acteurs français comme Yves Rénier, Dominique Pinon, Marcel Bluwal, Gérard Klein, Marc Dudicourt, Artus De Penguern, Alain Doutey, Laurent Spielvogel, Alexandra Stewart ou Patrick Floersheim. Sur un scénario écrit par Polanski et son complice de toujours (depuis 1964/65 ; il est mort en 2006) Gérard Brach, Frantic est un thriller implacable à l'ambiance lourde et poisseuse, tourné dans un Paris aux opposés de la Ville Lumière tant vantée des touristes. Un film rempli d'un suspense douloureux et qui aurait très bien pu être tourné par Alfred Hitchcock tant son sujet rappelle les meilleurs moments de la carrière du Maître du Suspense (notamment L'Homme Qui En Savait Trop).

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L'histoire est en effet dotée d'un postulat de base des plus simples : Le docteur Richard Walker (Harrison Ford) et sa femme Sondra (Betty Buckley) sont à Paris, Walker devant participer à un colloque sur sa spécialité, il est cardiologue. C'est à Paris qu'ils ont passé leur lune de miel, et ça leur rappelle donc de bons souvenirs. Mais peu après leur arrivée, Sondra est enlevée, et la police française semble ne faire aucun effort pour la retrouver, ce qui va le pousser à mener sa propre petite enquête tout seul, ce qui va le mener à Michelle (Emmanuelle Seigner), une mystérieuse jeune femme...

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Rarement Harrison Ford aura été aussi remarquable et convaincant que dans ce rôle de mari éploré recherchant sa femme et cherchant à savoir pourquoi on l'a enlevée, étranger dans un pays étranger, dans une ville qu'il pensait connaître un peu et qui n'a que peu de fois été montrée, au cinéma, aussi lugubre et sordide qu'ici. C'est assurément un des meilleurs rôles de Ford avec Blade Runner, Mosquito Coast et la saga Indiana Jones (oui, je sais, j'aurais pu citer aussi une autre saga, Star Wars, mais je le préfère franchement en aventurier qu'en mercenaire de l'espace accompagné d'un sbire géant et irascible en fourrure). Emmanuelle Seigner est également excellente dans ce film qui lui permettra de rencontrer son futur mari (elle jouera par la suite dans d'autres films de Polanski, Lunes De Fiel, La Vénus A La Fourrure, le dernier en date). Le scénario est implacable, l'ambiance est paranoïde au possible, on se met très facilement dans la peau de cet Américain paumé en pays étranger, ne maîtrisant pas la langue, et se sentant seul contre tous (l'administration, la population), à la recherche de sa femme et de ses ravisseurs, à la recherche d'une explication, aussi. La lutte style pot de terre contre pot de fer du personnage vis-à-vis de l'administration pourrait très bien faire penser à la vie-même de Polanski et ses multiples déboires. Le fait que le personnage principal soit américain, plutôt que britannique ou d'une autre nationalité, n'est évidemment pas anodin. En résulte un de ses meilleurs films, en tout cas, à l'époque de sa sortie, son meilleur depuis Le Locataire, et depuis, il n'a pas sorti beaucoup de films aussi remarquables que ce Frantic, Le Pianiste excepté.