Spoilers...
Les frères Coen ont démarré leur carrière, en 1984, avec un coup d'éclat : Sang Pour Sang (connu aussi sous son titre original : Blood Simple), un polar à l'humour corrosif devenu rapidement culte en dépit d'un résultat décevant au box-office. Leur film suivant, en 1986, une comédie déjantée avec Nicolas Cage et John Goodman, Arizona Junior, ne marchera pas super fort non plus, mais est un film positivement hilarant, un vrai cartoon filmé à l'ambiance survoltée et décomplexée. Cage y prouvait qu'il peut être vraiment drôle quand il le veut bien (et ici, de manière volontaire, le film étant une comédie ; par la suite, il sera franchement drôle dans des films tels que le remake du Wicker Man, ou USS Indianapolis, sans oublier Ghost Rider, mais là, c'était, hélas pour lui, involontaire). Après ces deux films vraiment réussis mais n'ayant pas affolé la baraque hollywoodienne, on n'attendait pas grand chose des frangins du Minnesota. Fataléreur. En 1990, avec un casting de dingues (Albert Finney, Gabriel Byrne, les futurs fidèles coeniens John Turturro, Jon Polito et Steve Buscemi, J.E. Freeman, Marcia Gay Harden...), Joel et Ethan réalisent leur troisième film, un film qui sera, pendant son écriture, la source de leur film suivant, Barton Fink (qui obtiendra la Palme d'Or à Cannes en 1991). En effet, pendant l'écriture du film, il souffriront quelque peu d'une panne d'écriture, et ce petit problème, rapidement résolu, leur donnera l'idée initiale de Barton Fink, qui parle d'un auteur de théâtre peinant à écrire un scénario de film sur un sujet ne l'intéressant pas du tout. Et ça sera la consécration.
Mais comme je l'ai dit, un an avant, il sortiront leur troisième film, celui-ci, qui s'appelle Miller's Crossing. Ce film est, après Sang Pour Sang, le deuxième film noir des Coen, et il est, à bien des aspects, plus réussi et abouti que lui (je ne retire rien à Sang Pour Sang, c'est un petit classique), et il se passe durant la sacro-sainte période adorée des films noirs, la Prohibition, dans une relativement grande ville américaine qui n'est pas citée (une partie du film a été tournée à la Nouvelle-Orléans, mais le film pourrait aussi bien se passer à Chicago, Boston, Detroit ou Minneapolis pour ce que j'en sais et ce que ça compte). Comme je l'ai dit, plusieurs acteurs du film sont ou seront des habitués des frangins Coen : Turturro, Polito, Buscemi. Ici, ils interprètent tous ou presque leur premier rôle dans un film des Coen (à noter que Frances McDormand, autre actrice fétiche du duo, et femme de Joel, joue un tout petit rôle, celui de la secrétaire du Maire, dans une scène très courte pour laquelle elle n'est pas créditée ; et que le réalisateur Sam Raimi joue un rôle minuscule, celui d'un flic se faisant flinguer à la mitraillette juste après avoir rigolé comme un golio et abattu un gangster).
Une grande ville ricaine, pendant la Prohibition, donc. Leo O'Bannion (Albert Finney) est un caïd de la pègre irlandaise, et il dirige non seulement un gigantesque gang, mais aussi, officieusement, la ville entière, il a la police et le Maire à ses pieds (pots-de-vins, magouilles diverses, etc). Il est assisté de son fidèle conseiller Tommy Reagan (Gabriel Byrne). Un chef de gang ennemi, Johnny Caspar (Jon Polito), un Italien, vient un jour le voir (accompagné de son bras droit, Eddie le Danois - J.E. Freeman) pour lui dire de stopper son soutien à Bernie Bernbaum (John Turturro), un petit arnaqueur juif qui lui a fait perdre beaucoup, beaucoup d'argent dans des histoires de paris hippiques truqués. Leo refuse de lâcher Bernbaum (une des raisons, inavouables à Caspar, est que la soeur de Bernbaum, Verna - Marcia Gay Harden - est la fiancée de Leo !), et Caspar s'énerve et avertit Leo qu'il va tuer Bernie, que ça plaise ou non à Leo. Leo demande à Tommy de veiller à ce que Bernie se fasse discret. La mort de Bernie, tué par Caspar, pourrait entraîner une guerre des gangs.
Leo ne sait pas que Verna le trompe avec Tom, et quand il va l'apprendre, il va le lâcher. Meurtri dans son amour-propre, Tommy va rejoindre les rangs de Caspar, qui va lui demander, en guise de ticket d'entrée, de lui dire où est Bernie. Tommy le fait. Caspar lui demande de le tuer. Tommy le fait...officiellement. En réalité, alors qu'il emmène Bernie à Miller's Crossing (un carrefour paumé en pleine forêt, apparemment un lieu habituel pour se débarrasser des gêneurs) afin de le tuer, il lui laisse la vie sauve, par pitié. Geste qui va probablement lui risquer de gros ennuis de la part des hommes de Caspar (Eddie le Danois notamment), sans parler de Leo, qui ne lui pardonne pas d'aller dans le camp adverse...
Miller's Crossing est un régal de film noir à la sauce Coen. Moins drôle que la majeure partie de leurs films (même No Country For Old Men, très violent et sombre, contient une bonne tranche d'humour noir), le film est superbement interprété par des acteurs de talent, comme Byrne, Turturro (qui a peu de scènes, mais toutes sont excellentes, c'est la révélation du film ; loin d'être son premier film, Miller's Crossing est probablement son premier grand rôle), Finney et Polito, juste génial en caïd de la mafia italienne. La musique de Carter Burwell (autre fidèle des Coen) est étonnante, assez calme, presque du classique, assez reposante et même poétique elle n'est pas vraiment le genre de musique qu'on s'attendrait à entendre dans un film noir. La réalisation est efficace, et le scénario accumule les rebondissements, les trahisons, et fait la part belle aux...chapeaux ! On notera que l'immeuble dans lequel vit Tommy est nommé Barton Arms, et que le film suivant des Coen (écrit en partie durant le tournage et la production de Miller's Crossing) sera Barton Fink. Peut-être que le nom du personnage principal de leur film (interprété brillamment par Turturro), qui obtiendra la Palme d'Or en 1991, vient de là ? Ou pas ? Pur en revenir à Miller's Crossing, c'est un des meilleurs films du duo, à défaut d'être un de leurs plus onnus (il sera un échec commercial à sa sortie, mais obtiendra de bonnes critiques).