Spoilers ! Révélations sur le film !
On ne va pas tourner pendant quatre heures autour de la seule place disponible du parking, autant y aller direct : Fargo est un monument du genre. Du genre policier, du genre comédie, et du genre cinématographique. Ce film des frères Coen (oui, encore eux, et croyez-moi, c'est pas fini sur le blog, car j'ai bien l'intention de combler certains trous et d'aborder ici l'essentiel de leur filmographie, ce qui aurait dû être fait depuis longtemps), leur sixième, fait suite au semi-échec commercial du très bon et assez délirant Le Grand Saut (un film de 1994 qui faisait se cotoyer, quand même, Tim Robbins, Paul Newman, Bruce Campbell et Jennifer Jason Leigh) et sera suivi, en 1998, du géniallissime, délirant (et lui aussi semi-échec au box-office, mais depuis devenu culte) The Big Lebowski, avec Jeff Bridges, John Goodman, John Turturro et Julianne Moore, notamment, et que j'ai abordé ici récemment. Entre ces deux comédies, les frangins Coen, Joel et Ethan, sortiront, en 1996, un film ravageur qui obtiendra quelques récompenses : Prix de la mise en scène à Cannes (le film a par ailleurs fait l'ouverture du Festival en 1996), Oscar 1997 du meilleur scénario et de la meilleure actrice, Prix David Lean du meilleur réalisateur aux BAFTA (1997)...
Plutôt court (un peu moins de 100 minutes), tourné dans le Minnesota (Etat natal des Coen) puis dans le Dakota du Nord et Canada (l'action du film commence dans le Minnesota puis file dans le Dakota du Nord, mais pas au Canada : c'était pour avoir la possibilité de tourner dans des endroits enneigés et froids, le printemps avançant au fur et à mesure que le film, qui se passe en hiver, avançait aussi), le film est, comme toujours, écrit et réalisé à quatre mains, même si seul Joel Coen est crédité à la réalisation. Le casting est constitué de Frances McDormand, William H. Macy (qui aurait, avec humour, menacé les Coen de tuer leurs chiens s'ils ne lui donnaient pas le rôle, et ils l'ont engagé suite à cette déclaration aussi drôle que résolue), Steve Buscemi, Peter Stormare, Harve Presnell, John Carroll Lynch et Kristin Rudrüd. Le chanteur José Feliciano, un chanteur/guitariste aveugle d'origine portoricaine ayant démarré sa carrière dans les années 60, fait une apparition dans son propre rôle dans le film. Tous les acteurs sont juste inoubliables dans ce film, mention ultra spéciale à Frances McDormand (qui mérite bien son Oscar pour le rôle de cette fliquette enceinte et tenace, et qui est, dans la vie, mariée, depuis 1984, à Joel Coen) et Steve Buscemi.
Le film est un film policier, un film noir, mais aussi une comédie décapante, et en le regardant, je n'ai pu m'empêcher de penser à Petits Meurtres Entre Amis de Danny Boyle, ou à certains films de Tarantino comme Reservoir Dogs ou Les Huit Salopards : autrement dit, Fargo (nom d'une ville du Dakota du Nord où une partie de l'action se passe) est un authentique jeu de massacre, un film violent et drôle en même temps, d'un humour tellement corrosif qu'il en nettoiera votre cabine de douche sans avoir besoin de mettre le son très fort. La bande-son du film, signée Carter Burwell comme il se doit (il est aux Cohen ce que Danny Elfman est à Tim Burton, Bernard Herrmann est à Hitchcock ou John Williams à Spielberg), et est remarquable. L'action du film se passe en 1987, et bien qu'il soit indiqué au début du film qu'il s'agisse d'une histoire vraie, il est cependant reprécisé, en final, avant le générique de fin, que non, en fait, c'est bien une fiction. Qui croire ? Fargo est assurément une fiction, mais son histoire, bien qu'incroyable, part d'un postulat de base assez simple (si on peut dire) qui a très certainement déjà eu lieu dans la réalité.
Hiver 1987, à Minneapolis, Minnesota. Jerry Lundegaard (William H. Macy), directeur commercial d'une concession automobile, a des soucis d'argent. Pourtant, il est marié à Jean (Kristin Rudrüd), laquelle n'est autre que la fille du riche et puissant Wade Gustafson (Harve Presnell) propriétaire de la concession. En utilisant les 'réseaux' d'un des mécaniciens de l'atelier de la concession, Shep Proudfoot, un ancien détenu, Jerry est mis en relation avec Gaear Grimsrud (Peter Stormare) et son associé - depuis peu - Carl Showalter (Steve Buscemi). Afin de les rencontrer, il se rend à Fargo (tractant derrière sa voiture, sur une remorque, une autre voiture, flambant neuve, sortie de la concession), dans le Dakota du Nord (Etat voisin), et met en place avec eux un plan : ils enlèvent Jean, la femme de Jerry, contre la voiture neuve qu'il leur laisse, et ils gardent sa femme avec eux en attente d'une rançon de 80 000 dollars, à exiger auprès de Wade Gustafson, le riche beau-père de Jerry. Bien évidemment, sans faire intervenir la police.
Jerry donnerait, selon leur accord, la moitié de la rançon (40 000 dollars) aux deux truands, et se garderait l'autre moitié, afin de se sortir la tête de l'eau, financièrement parlant. Mais Jerry a aussi imaginé autre chose dans son plan : être le seul interlocuteur des truands auprès de son beau-père, et lui faire croire qu'ils exigent en réalité un million de dollars. Ainsi, il espère bien conserver à son seul profit la très grosse différence d'argent (plus de 900 000 dollars), car bien entendu, ni Gaear ni Carl ne savent que Jerry va demander à Gustafson, en leur nom, une telle mirobolante somme. Le jour J, alors que Jerry se rend à son travail comme d'habitude, il est convoqué, dans l'après-midi, dans le bureau de son patron de beau-père. Jerry, empli d'optimisme en ce jour-là, se met alors à penser que, finalement, l'argent, ça va, ça vient, et qu'il va très certainement se refaire une santé financière dans peu de temps, et que ce plan d'enlèvement n'a plus lieu d'être. Il tente de joindre les deux malfrats, mais impossible. Pendant ce temps Gaear et Carl font irruption, plutôt brutalement, dans sa maison et capturent Jean. Et la situation va déraper, déraper, déraper, jusqu'à n'en plus finir...
Comme le dit l'affiche française du film, "auriez-vous le courage d'en rire ?". Fargo est en effet un film vraiment hilarant par moments, comme seuls les meilleurs films des frères Coen (et ce film est assurément, avec Barton Fink, No Country For Old Men et The Big Lebowski, un des jalons de leur impressionnante filmographie) peuvent l'être. Mais ce n'est pas une comédie à la base, juste un film policier. Ou un film noir. Ou une comédie policière. Ou une comédie noire. Rhaaaa, en fait, ce film, c'est un peu tout ça à la fois. Drôle et violent, hilarant et sanglant, rempli de suspense et d'humour frappadingue, de personnages inoubliables (Marge, la flic enceinte de Brainerd, Minnesota, jouée par une Frances McDormand qui aura rarement été aussi géniale ; les deux malfrats, et notamment le très - trop - bavard Carl, joué par le toujours génial Steve Buscemi) et doté d'un scénario tellement riche, inventif et rempli de rebondissements que le petit résumé que j'ai fait ne résume qu'une petite partie de l'intrigue (et le film ne dure que 98 minutes, douche comprise !).
Fargo, qui sera en 2014 décliné en série TV se passant 19 ans après les faits (une série produite par les Coen, et interprétée notamment par Martin Freeman, Billy Bob Thornton, Kate Walsh et Keith Carradine pour la première saison, Kirsten Dunst, Ted Danson et Patrick Wilson pour la seconde, Ewan McGregor, David Thewlis et Carrie Coon pour la troisième !), est un chef d'oeuvre du film noir et de la comédie noire, mais aussi un chef d'oeuvre du cinéma. Si Barton Fink, en 1991, a permis (avec en prime la Palme d'Or à la clé) de remporter l'adhésion et avant ça l'intérêt de la critique, ce Fargo de 1996, qui a été lui aussi remarquablement bien accueilli par la presse, a de plus permi aux frangins de se faire un nom dans le cinéma, et de s'attirer l'intérêt et l'amour éternel(s) des spectacteurs. Vont alors suivre une ribambelle de classiques, avec certes deux-trois semi-ratages (Ladykillers), mas au final, si peu, par rapport aux réussites...