Spoilers !
Aaah, Jean le Charpentier... Quel réalisateur. Un vrai touche-à-tout (SF, fantastique, horreur, comédie d'action) dans le domaine du film de genre, et dont les deux principales obsessions sont de tout faire soi-même (réalisation, scénario, musique, production, parfois même un peu acteur en tous petits rôles) sous prétexte de budgets serrés (c'est une bonne excuse, ceci dit) et, autre obsession, qui transpire de film en film : le western. C'est un fait, John Carpenter réalise un western environ un film sur deux. Enfin, un western déguisé. Assaut (1976), Prince Des Ténèbres (1987), Ghosts Of Mars (2001) ne parlent que d'une chose : comment refaire le coup du Rio Bravo de Howard Hawks (et un peu Alamo de John Wayne) à diverses sauces. Qu'ils se passent dans un petit commissariat de quartier, une vieille église désaffectée ou une autre planète, ces trois films de Carpenter ne parlent que d'une chose : un groupe de personnes s'unissent pour repousser des hordes venues les détruire, qu'ils soient des émeutiers, des SDF possédés par le Diable ou des extra-terrestres zombifiés terrifiants. Et d'autres films de Carpenter, New York 1997 et sa suite/remake Los Angeles 2013, Vampires et The Thing, peuvent aussi, dans un sens comme dans l'autre, et même dans les deux sens, et même dans celui-là, être considérés comme des westerns déguisés. Fort, le mec.
Ce n'est cependant pas le cas de tous ces films. L'Antre De La Folie, Dark Star, le remake (raté) du Village Des Damnés ou Christine (une des rarissimes adaptations de Stephen King à être meilleures que le roman de base, si, si) ne peuvent pas être qualifiés de westerns déguisés. Invasion Los Angeles, sorti en 1988, non plus. C'est de ce film que je vais parler aujourd'hui, et comme ce n'est pas un western carpenterien, vous vous demandez sans doute pourquoi ce premier paragraphe d'introduction. Ne demandez pas, c'est gratuit, offert par la maison. Invasion Los Angeles, j'ai mis du temps à m'en rendre compte (et j'ai mis un petit bon bout de temps avant de le revoir), est assurément un des meilleurs films de Carpenter, lequel n'a rien fait depuis L'Hôpital De La Terreur en 2011, film très discret sorti directement en DVD en France, sans passer par la case salle de cinéma, ce qui n'est pas bon signe quant à sa qualité (je ne l'ai pas vu, et je n'ai pas l'intention de).
Invasion Los Angeles, quand on voit le titre du film, on se dit encore un film dont on n'a pas traduit le titre anglais pour faire stylé. Mais non, c'est bien une traduction. Le titre original est They Live ("ils vivent"), ce qui est assez étonnant, et on comprend facilement que traduire littéralement le titre pour l'exploitation francaouise aurait été synonyme d'incompréhension des masses. On n'a pas envie de voir un film qui s'appelle Ils Vivent. Mais Invasion Los Angeles, putain, ça claque. Non ? Puisque j'vous l'dis. Le film a été écrit par Carpenter, sous le pseudonyme de Frank Armitage, nom qui est aussi celui d'un des personnages principaux du film, et qui est tiré d'une histoire de H.P. Lovecraft pour l'anecdote. De même que le personnage de Nick Castle, joué par Tom Atkins dans Fog, était aussi et surtout celui d'un réalisateur et scénariste ami de Carpenter, qui joua Michael Myers dans La Nuit Des Masques ! Fin de l'anecdote inutile. Pour en revenir à They Live, il se base sur une nouvelle écrite par Ray Faraday Nelson et sa musique est signée Carpenter et Alan Howarth. Il est produit par Larry Franco, collaborateur fidèle de Carpenter et n'a coûté que 4 petits millions de dollars (et comme il en a rapporté 13 aux USA, on peut dire qu'il a bien marché, même si ce ne fut pas un si gros succès que ça). La fameuse marque de fringues Obey serait inspirée de ce film. Voir une illustration plus bas. Ah, et au fait, si vous n'avez pas encore vu le film et ne voulez rien savoir de son intrigue, pourquoi ne pas aller lire un autre article sur le blog en attendant de l'avoir vu ? Parce qu'il va y avoir du spoiler, je préfère prévenir. Et certaines photos en font partie, des spoilers (pas les premières de l'article) !
L'action se passe à Los Angeles (pas de surprise, hein ; en même temps, vu le titre, ça aurait été con que ça se passe à San Diego). John Nada (Roddy Piper, un catcheur reconverti en acteur, et plutôt convaincant) est un paumé à la Carpenter. Il parcourt les routes en quête de boulot, il bosse comme ouvrier sur les chantiers. Il est embauché à Los Angeles, et fait la connaissance de Frank Armitage (Keith David), qui lui propose de venir habiter chez lui, dans son bidonville. Nada accepte, et il va découvrir, dans une petite église non loin (une église qui en fait est une sorte d'entrepôt), une caisse remplie de lunettes de soleil. Il en prend une paire, et cache la caisse dans une poubelle. En mettant les lunettes, Nada va se rendre compte qu'elles atténuent complètement les couleurs, et permettent de voir en noir et blanc. Mais surtout, en mettant ces lunettes, Nada voit des choses qui disparaissent quand il retire les lunettes : des panneaux publicitaires se transforment, sous la vision de ces lunettes, en laconiques injonctions type 'obéir', 'consommer', 'reproduction', 'conformité', 'travailler', etc. Et certaines personnes qu'il regarde avec ces lunettes, toutes avec une position de pouvoir (policiers, politiciens, directeurs de sociétés, riches), ressemblent, sous l'effet des lunettes, à des humanoïdes aux visages squelettiques. Nada va se rendre compte que la Terre a été envahie par des aliens, qui ont pris les places de pouvoir, discrètement, sous apparence humaine, et contrôlent ainsi la population...
On l'aura pigé : Invasion Los Angeles est un film de SF, mais aussi et surtout un film de paranoïa, un film de complot. Un peu comme dans The Thing où personne ne sait qui a été contaminé par la chose et est en fait le réceptacle humain dans lequel la chose vit, on ne sait pas, avant de chausser ces lunettes, qui est, ou n'est pas, un alien. Bien entendu, quand Nada (qui signifie, en espagnol, 'rien', autrement dit le personnage n'a pas de nom, et prénom est des plus basiques) en parle, personne ne le croit. Un peu comme dans le roman de Jack Finney (maintes fois adapté au cinéma), L'Invasion Des Profanateurs, dans lequel des extra-terrestres prennent lentement possession d'une petite ville américaine en remplaçant (par le biais de 'cosses' se transformant en clones) les humains, l'invasion des aliens, dans le film de Carpenter, invasion qui a déjà eu lieu depuis un moment, est sournoise. Le film vaut vraiment pour son atmosphère de conspiration totale.
Il vaut aussi pour une scène longue, bien foutue (étant catcheur de profession, Piper l'a supervisée en plus de la jouer), mais fondamentalement inutile au déroulé de l'intrigue : une monumentale baston de rue entre Nada et Armitage, qui se foutent sur la gueule quelque chose de bien, avant de redevenir copains (le but de cette baston : qu'Armitage, qui refuse de continuer à cotoyer un Nada devenu recherché par la police, mette une paire de lunettes pour enfin comprendre le monde dans lequel il vit). Cette scène est vraiment trop longue pour ce qu'elle représente dans le film, c'est presque du gâchis de pellicule, surtout que They Live ne dure que 95 minutes, mais elle est quand même franchement bien foutue, c'est même probablement une des meilleures scènes de baston au poing de l'histoire du cinéma américain. Le film, quant à lui, est un des meilleurs de Carpenter avec Prince Des Ténèbres (son film précédent), The Thing, New York 1997, Christine et La Nuit Des Masques. C'est un des plus représentatifs de son cinéma coup de poing dans la face, sans concessions, réalisé avec peu de moyens mais semblant avoir coûté plus cher que son budget tant le budget a été bien utilisé. Avec de plus une bande-son minimaliste et efficace comme toujours. Bref, They Live, c'est un classique culte à voir et revoir à tout prix, ne pas se fier au premier visionnage, parfois décevant ; le film vaut mieux que ça !