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Spoilers...révélations sur le film !

Tout a déjà été dit cent fois, mille fois, cent mille fois, sur ce film, alors pourquoi devrais-je essayer de dire quelque chose de plus à son sujet ? Comme l'affiche le dit fièrement, ce film des frères Cohen (leur quatrième) a obtenu, à Cannes en 1991, le Prix de la mise en scène, le Prix d'interprétation masculine, et surtout, surtout, la suprême récompense cannoise (et cinématographique), la Palme d'Or. Sept autres récompenses, au fil de cérémonies diverses (Los Angeles Film Critics Association, London Film Critics Circle, etc) et plusieurs nominations aux Oscars (mais aucune statuette en revanche) ont émaillé la carrière de ce film sorti, donc, en 1991, ce Barton Fink absolument indépassable dans le genre. Et quel genre, au fait ? Comédie, comédie dramatique, film noir, délire absurde et kafkaïen, film d'atmosphère, film d'épouvante, drame, chronique, ce film est un peu tout ça à la fois. En tout cas, il représente 111 minutes totalement sublimes que tout amateur de bon, de vrai cinéma se doit de voir à tout prix, et pas qu'une fois, non, au moins deux fois (ce n'est pas que le premier visionnage soit difficile, loin de là, mais le film mérite vraiment plusieurs visionnages).

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Le film est interprété par deux acteurs qui seront par la suite des habitués des films des Frères Coen (au passage, le film est officiellement réalisé par Joel seul, son frangin Ethan n'étant crédité que pour le scénario, mais on sait bien que les deux frères font toujours la réalisation et le scénario à deux) : John Turturro (déjà à l'affiche de Miller's Crossing, le précédent film des frangins) et John Goodman (déjà à l'affiche d'Arizona Junior, le deuxième film des frangins), et que l'on reverra tous deux dans d'autres films des frangins, comme The Big Lebowski, O'Brother (pour les deux acteurs), Inside Llewelyn Davis, Le Grand Saut (pour Goodman). Tous deux, de remarquables acteurs (Goodman a souvent été quelque peu sous-utilisé pour son physique de bon gros rondouillard souriant au regard qui pétille, je trouve ; ici, il est dans un de ses plus grands rôles), et ils sont entourés, pour le reste de la distribution, d'acteurs tout aussi épatants : Steve Buscemi (dans un rôle court, secondaire, mais hilarant), Michael Lerner, Judy Davis, Tony Shalhoub, John Mahoney, Jon Polito. La très bonne musique du film est signée Carter Burwell.

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1941. Barton Fink (John Turturro), un homme un peu timoré et tourmenté, est un auteur de théâtre réputé de la scène new-yorkaise, il vient d'être littéralement encensé par la presse et le public pour sa pièce, dans laquelle il a tenté (avec succès, donc) de toucher le coeur des petites gens, de s'intéresser au petit peuple. Son agent l'encourage à tenter sa chance dans l'industrie du cinéma, à Hollywood, car avec son talent, il pourrait accoucher de scénarii remarquables pour le septième art. Fink, bien que triste (et même déprimé) à l'idée de quitter son cocon new-yorkais, accepte, et il débarque, presque à contrecoeur, à Los Angeles, trouvant une chambre dans un hôtel plus ou moins miteux et faussement luxueux. Dès son entretien avec Jack Lipnick (Michael Lerner), patron de Capitol Movies, la firme l'ayant engagée sur promesse de son agent et des bonnes critiques new-yorkaises de sa pièce, Barton sent que ça ne va pas être facile-facile : Lipnick, volubile (une caricature du nabab du cinéma) et quelque peu impressionnant, met d'emblée Barton sur un projet de scénario de film sur le catch. Pour Fink, auteur cérébral, tourmenté et dramatique, autant dire que ça ne convient pas trop, un peu comme si on demandait à Kubrick d'écrire un scénario de comédie pour Adam Sandler.

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Barton, cependant, accepte (en même temps, il n'a pas eu son mot à dire durant l'entretien), mais à peine la première ligne du scénario tapée sur sa machine (une simple description d'une rue crasseuse et bruyante) qu'il sèche complètement. Entendant un de ses voisins faire du bruit (et du bruit étrange : à la fois pleurs, rires et cris), il appelle la réception pour en faire part, et Chet (Steve Buscemi), l'employé unique de la réception, appelle à son tour le voisin. Qui vient directement frapper à la porte de Barton, qui ouvre, et tombe sur un costaud trempé de sueur, le regard pas commode, Charlie Meadows (John Goodman), lequel s'excuse quasi immédiatement de la gêne quand il entend de la bouche de Barton que celui-ci n'avait pas appelé pour se plaindre, mais juste pour savoir si tout allait bien chez le voisin. Entre Barton et Charlie, qui travaille dans les assurances et admire tout ce qui est cérébral (n'étant pas aussi bien fourni, niveau cellules grises, que Barton, et il le reconnaît sans peine), le contact va très bien passer, immédiatement. 

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Un jour, dans un restaurant huppé où il déjeunait avec Ben Geisler (Tony Shalhoub), le producteur du film qu'il est censé écrire (mais ça n'avance toujours pas), Barton fait la connaissance, dans les WC, de W.P. Mayhew (John Maloney), fameux écrivain plus qu'à moitié alcoolique (il l'a d'ailleurs entendu gerber copieusement dans les chiottes) mais à la réputation immense (soit-dit en passant, ce personnge fictif s'inspire d'un vrai écrivain, William Faulkner), qui travaille également dans l'industrie du cinéma comme scénariste. Lui demandant, gêné, quelques conseils, Mayhew lui demande de passer le voir dans l'après-midi, et s'y rendant, Barton fait la connaissance d'Audrey (Judy Davis), l'assistante et amante de Mayhew, lequel est alors en pleine crise de delirium tremens et hurle partout. Barton, au fil de ses rencontres avec Mayhew (qu'il admire pour son oeuvre), va sympathiser avec Audrey, qui accepte de l'aider à écrire le scénario du film. Ils finissent même par coucher ensemble. Le lendemain de leur nuit d'amour, Barton, en écrasant un moustique sur le dos d'Audrey, allongée endormie dans le lit, voit subitement une énorme tache de sang sur le matelas, et constate, terrifié, paniqué, qu'Audrey est morte, assassinée pendant la nuit. Complètement affolé, il fait venir Charlie qui le croit immédiatement quand il lui dit qu'il n'y est pour rien, et se débarrasse du corps pour l'aider. Ce choc semble avoir débouché quelque chose chez Barton qui, d'un coup, va réussir à écrire son scénario...

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Je préfère m'arrêter là pour le résumé, j'ai déjà parlé de pas mal de choses, mais je n'ai pas envie de dire ce qui se passe après. Sachez seulement qu'il est difficile de prévoir ce qui va se passer dans ce film, tant Barton Fink mélange  les ambiances, les genres. Le moindre petit détail percute, souvent de manière humoristique : le papier peint de la chambre de Barton qui se décolle par pans (au point qu'il est obligé de le punaiser) ; les moustiques qui le bouffent alors que selon un des personnages, il n'y à pas de moustiques à Los Angeles, la ville étant, d'un point de vue du climat, plutot sèche qu'humide ; le passage de la Bible de sa chambre d'hôtel qui, ouvert à la Genèse, cite littéralement la première phrase du scénario qu'il a écrite et sur laquelle il sèche ; le bruit ahurissant que fait la porte de sa chambre en s'ouvrant et se fermant ; le couloir de l'hôtel, qui semble interminable et toujours parsemé de chaussures en attente d'être cirées... Magistralement écrit, ce film est un régal de tous les instants, qui donne envie de rire et de frémir en même temps (la fameuse boîte qu'un des personnages remet à Barton dans le film, qu'il n'ouvre jamais, et il ignore ce qu'elle contient, mais arrivé un moment du film, on a des doutes sur la question).

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Les acteurs ? Immenses. Turturro et Goodman sont juste inoubliables, et les acteurs secondaires sont tellement puissants, comme il fut dit dans une critique (française) du film à l'époque, qu'ils semblent avoir autant d'importance que Turturro et Goodman. L'atmosphère du film alterne entre comédie absurde, film noir, chronique d'un écrivain paumé à Hollywood et délire à la Festin Nu (sans aller dans les mêmes délires visuels ceci dit, que le roman de Burroughs et son adaptation par Cronenberg). Il est difficile de ne pas ressentir de l'attachement pour les deux personnages principaux, Turturro et Goodman parvenant à être émouvants par un simple regard. Emouvants ou drôles : l'entretien entre Barton et Lipnick, au début du film, durant lequel Lipnick impose le film de catch (qu'il ne veut pas être une série B, alors que ça ne pourra qu'en être une au final, vu le sujet !), est terrible, les regards de Turturro sont juste géniaux, il dit toute sa détresse affolée et consternée sans quasiment prononcer un mot. Imaginez Sacha Guitry à qui vous demandez d'écrire un scénario de film d'horreur du type slasher, imaginez son regard quand vous lui demandez ça, et bien, c'est pareil. Ne vous fiez pas à la photo ci-dessous, elle n'est pas issue de cette scène de l'entretien, mais a lieu bien plus tard, dans un tout autre contexte. Ceci dit, l'expression de Turturro est sympathique là aussi.

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Pour finir, Barton Fink est assurément le meilleur film des frères Coen, et je sais ce que vous vous demandez sûrement si vous connaissez un peu l'oeuvre des frangins : pourquoi ne pas citer Fargo, ou The Big Lebowski ? Attention, ces deux films sont géniaux, c'est clair (Fargo et Barton Fink sont mes deux préférés des bonshommes), mais Barton Fink est pour moi, clairement le plus abouti, et le fit que ce soit justement ce film qui ait obtenu la Palme d'Or n'entre qu'un peu en ligne de compte. Après tout, les frangins auraient très bien pu obtenir la Palme pour leur génial No Country For Old Men, ou pour Fargo, ces deux films auraient certainement mérité une telle récompense, mais c'est Barton Fink qui l'a eue, et je pense que c'est tout totalement mérité. Dans l'ensemble, la filmographie des frangins est excellente, des films comme Arizona Junior, The Barber, Burn After Reading, O'Brother, Fargo, Sang Pour Sang ou The Big Lebowski, sans oublier No Country For Old Men et Miller's Crossing, sont autant de petites (ou grandes) claques, des films envoûtants, remarquables, drôles ou pas, toujours cyniques et bien à part. Deux réalisateurs, deux auteurs, cultes et remplis de talent. Une filmographie quasiment intouchable (pas fan de The Ladykillers, Intolérable Cruauté et Ave César) et dont, définitivement, ce Barton Fink de 1991 est le jalon absolu. Il faut voir les films des frères Coen. Tous. Mais si vous ne deviez en voir qu'un seul, optez pour Barton Fink.