Spoilers...
Clint Eastwood, depuis 1971 et L'Inspecteur Harry de Don Siegel, se traîne une réputation de mec de droite, conservateur, réactionnaire et à la limite du facho. A cause de ce film dans lequel il campe un flic brutal, radical et qui préfère tirer avant de poser des questions (le réalisateur aussi aura des soucis de ce genre). Cette réputation, cette polémique, s'atténuera avec les années, Eastwood ayant quelque peu poli le personnage de "Dirty" Harry Callahan, et ayant aussi accumulé des films (en tant que réalisateur, surtout) plus grand public, plus optimistes, plus consensuels. Mais de temps en temps, le spectre revient le hanter : Gran Torino et son personnage de retraité de l'industrie automobile raciste et hargneux (qui, cependant, s'adoucit au fil du film), Le Maître De Guerre où il campe un sergent-instructeur des Marines plutôt radical (et très pompé sur celui joué par R. Lee Ermey dans Full Metal Jacket de Kubrick)... et American Sniper, film de 2014 (sorti en 2015 en France) qui, à sa sortie, marchera très fort, mais sera source de polémique rapport à son sujet des plus glissants.
Basé sur l'autobiographie de Chris Kyle, un ancien membre des Navy SEALS où il officiait en tant que tireur d'élite (il est mort en 2013, assassiné par un ancien soldat comme lui, qui a pété les plombs au cours d'une séance de tir organisée par Kyle pour aider les anciens soldats atteints de stress post-traumatique à se ressaisir), ce film est interprété par Bradley Cooper, Sienna Miller, Jake McDorman, Kyle Gallner, Luke Grimes, Eric Close et Sam Jaeger (entre autres), et doté d'un scénario de Jason Dean Hall. Le film raconte donc la vie de Chris Kyle, remarquablement interprété par un Bradley Cooper que j'ai personnellement rarement vu aussi bon qu'ici. Je dois dire au passage que je ne suis pas particulièrement fana de cet acteur, mais ici, il m'a bluffé. Sienna Miller, mignonne, est très bonne dans le rôle de Taya, la femme de Chris. Les autres acteurs, nettement moins connus (le film n'a que deux stars), n'en sont pas moins convaincants, et la réalisation est du pur Eastwood des familles, autrement dit, c'est du solide, de l'efficace sans toutefois aller dans l'excès.
Natif du Texas, Chris Kyle (Cooper) est un adepte du rodéo et un fana des armes à feu, un All-American-connard comme il en existe tant dans ce pays. En 1998, à la suite des attentats perpétrés au Kenya contre l'ambassade américaine, il décide de s'engager dans l'armée, il a alors 24 ans, étant né en 1974. Il suit l'entraînement des Navy SEALS, unité d'élite, et devient un sniper redoutable. Au cours d'une permission, il rencontre Taya Renae (Sienna Miller), qu'il épouse. Chris est envoyé en Irak pendant la seconde guerre du Golfe (qui démarre en 2003) et son adresse et sa précision en font une légende vivante auprès de ses collègues. Il est chargé d'éliminer, embusqué sur un toit, les menaces potentielles. Un boulot qu'il accomplit consciencieusement, sans trop se poser de questions.
Suite à une mission ayant failli mal se finir pour lui (il a failli être capturé par l'ennemi), Kyle décide de quitter l'armée, sa femme n'en pouvant d'ailleurs plus de vivre sans lui la plupart du temps, à toujours se demander s'il reviendra vivant et intact du front. Mais le retour à la vie civile, malgré qu'il soit accueilli comme un vrai héros, ne se passe pas très bien, il a du mal à se réacclimater. Il décide de continuer d'aider l'armée, en civil, en se chargeant de soutenir des vétérans de guerre souffrant de stress post-traumatiques. Qu'ils soient revenus physiquement et/ou moralement blessés. Il les accompagne dans des séances de tir de précision, mais l'une d'elles se finira mal pour lui...
On peut comprendre pourquoi ce film a fait polémique un peu partout dans le monde, mais surtout aux USA : Chris Kyle a beau être considéré comme un héros national pour beaucoup, il ne l'est pas pour tous : c'est quand même un mec qui fut chargé de tuer (bon, OK, un soldat est chargé de tuer, à la base), et dans une des scènes, il est à deux doigts d'abattre un enfant s'approchant un peu trop près d'une arme appartenant à un homme qu'il vient justement d'abattre. Kyle a le doigt sur la gâchette, le viseur sur le gosse, prêt à le tuer s'il touche l'arme, mais finalement, l'enfant s'en éloigne, et Kyle relâche la pression (la scène montre cependant qu'il n'a pas envie de tuer le gamin, il le supplie à voix basse de se barrer, mais on comprend cependant qu'il n'aurait pas hésité un instant avant de le tuer si le gamin avait pris le fusil).
Douteuse, aussi, dans un sens, cette réinsertion des anciens soldats atteints de SPT (stress post-traumatique) : ils reviennent de la guerre, certains blessés ou mutilés, et ils réapprennent à vivre en participant à des séances de tir ? Rien de tel pour se rappeler le bon vieux temps où ils flinguaient des ennemis au lieu de flinguer des cibles en carton ou des arbres ! Le film ne fait pas vraiment l'apologie de l'armée américaine et de l'engagement de cette armée, sous gouvernance de George W. Bush, en Irak suite aux attentats du 9/11, mais il n'en fait pas la critique non plus. American Sniper est à peu près neutre, malgré de forts élans patriotiques qui ne sont pas surprenants de la part d'Eastwood. Le problème, c'est que l'époque concernée dans le film n'est pas vraiment celle où le patriotisme ricain était le meilleur du monde, l'engagement des USA en Irak ayant été fait en dépit du bon sens, pour les mauvaises raisons, et sous la gouvernance suprème d'un parfait connard incompétent et imbu de lui-même, Bush Jr. On aurait aimé une certaine critique de la part d'Eastwood, mais American Sniper (qui possède cependant de grandes qualités : acteurs remarquables, réalisation de même, réalisme de toute la partie irakienne, un petit côté Voyage Au Bout De L'Enfer) penche quand même plus du côté positif de la balance. Pas un film de propagande pro-Bush, n'exagérons rien, mais quand même, je comprend aisément la polémique qu'il a suscité (comme l'autobiographie de Kyle avant lui) !