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Spoilers...

Ce film n'aurait probablement jamais du voir le jour, ou en tout cas, pas tel qu'il est. Ce film, c'est la trace indélébile, gravée dans le marbre (ou plutôt, couchée sur pellicule), d'un naufrage total : celui de Terry Gilliam et de son équipe. Un film qui, finalement, est fait (Gilliam n'avait pas renoncé, mais un peu comme Kubrick n'avait jamais vraiment renoncé à faire son Napoléon : il ne savait pas en effet s'il irait un jour jusqu'au bout mais refusa de jeter l'éponge ; finalement, il a eu raison ; Kubrick, lui, de son côté, ne fera jamais son Napoléon...), le tournage ayant pris fin cet été. Mais ce projet prouve une fois de plus, après les expériences d'Orson Welles et de Jacques Brel, que ce sujet n'est clairement pas adaptable : Don Quichotte, fameux roman de Miguel de Cervantès. L'histoire d'un raté et de ses mésaventures. Un anti-héros comme il n'en existe au final pas beaucoup (mis à part le personnage principal du chef d'oeuvre de John Kennedy Toole La Conjuration Des Imbéciles, peut-être).

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Ce roman a été adapté plein de fois au cinéma, jamais de façon satisfaisante. Et il a probablement le palmarès du roman ayant été le plus souvent l'objet d'adaptations foirées ou inachevées. Orson Welles, comme je l'ai dit plus haut, a tenté, et n'a pas abouti, de faire une adaptation, dans les années 50. Il y à eu aussi une comédie musicale scénique américaine, Man Of La Mancha, adaptée en France par Jacques Brel (L'Homme De La Manche), avec Brel et Dario Moreno (dans le rôle de Sancho), en 1968. Mais alors que la comédie musicale s'apprête à être jouée sur scène à Paris, Moreno meurt, et sera remplacé par Robert Manuel. Une adaptation cinéma, par Athur Hiller, sera faite en 1972 de cette comédie musicale de Broadway, et le film sera un naufrage commercial. D'autres adaptations au cinéma seront faites, toutes foireront quelque part (insuccès, adaptation ratée...).

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Don Quichotte, oeuvre maudite ? C'est peut-être et même certainement à ça que Terry Gilliam devait penser, en été 2000, en Espagne, pendant qu'il asistait impuissant et enragé à la succession de merdes qui lui sont arrivées durant le tournage. L'Homme Qui Tua Don Quichotte, tel est le titre du film que Gilliam avait projet de tourner en 2000 (et qu'il a finalement fait, donc, avec un casting totalement différent : Jonathan Pryce, Olga Kurylenko, Rossy De Palma et Stellan Skarsgard - John Hurt devait aussi jouer dans le film, mais décèdera entre temps, comme quoi, le sujet est vraiment maudit...). A la base, le casting était totalement différent, avec Jean Rochefort, Johnny Depp et Vanessa Paradis. Cette dernière apparaît dans le film que j'aborde, documentaire sur le tournage sorti en 2002, mais uniquement dans des scènes d'essai de lumière, car le projet fut annulé, interrompu avant qu'elle n'arrive sur les lieux du tournage. 

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Ce documentaire, à la qualité visuelle correcte mais en-deça de celle d'un film (normal, en même temps, il n'était destiné à la base qu'à être un bonus sur le futur DVD du film, si ce film avait été mené à bout), est réalisé par Louis Pepe et Keith Fulton, il dure 90 minutes, et s'intitule Lost In La Mancha. Il est finalement sorti en salles, en 2002 (2003 chez nous), histoire de raconter par le menu par quel enfer Terry Gilliam est passé durant ces quelques mois en Espagne en 2000. Ce film est souvent montré dans les écoles de cinéma afin de montrer tout ce qui peut arriver durant un tournage. En regardant Lost In La Mancha (ce qui est foutrement conseillé, le film étant un chef d'oeuvre du genre), on est atterré par toutes les merdes survenues : catastrophes climatiques (il n'a eu de cesse de pleuvoir, alors que le film a été tourné en Espagne, et en été, or, en Espagne, l'été, il fait vraiment beau et chaud, 99% du temps) ; problèmes physiques de Jean Rochefort l'empêchant de monter à cheval et donc de jouer, et Rochefort a toujours été un cavalier émérite ; survols intempestifs d'avions de l'armée de l'air américaine (partant d'une base à eux sur le sol Espagnol) sur les lieux de tournage ; conflits personnels ; soucis d'organisations, retards divers...

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Tout le long de ce documentaire making-of censé, à la base, laisser une trace du tournage en guise de bonus DVD mais n'ayant finalement servi qu'à attester du naufrage, on voit un Terry Gilliam de plus en plus affolé et énervé, fou de rage même, vis-à-vis de cette accumulation de désagréments, de catastrophes, d'imprévus ahurissants (quand on voit la dégradation des conditions météo, alors que dans cette partie du monde, en été, c'est temps chaud et sec assuré...). La mort dans l'âme, il a arrêté le tournage, et mettra du temps à s'en remettre (Jean Rochefort, quant à lui, ne voudra plus jamais entendre parler de ce projet qui, pourtant, l'avait fortement motivé) : son film suivant, Les Frères Grimm, sortira en 2005. Et son film précédent, Las Vegas Parano, datait de 1998 ! Gilliam, comme je l'ai dit plus haut, n'abandonnera cependant pas : en 2008, il a relancé le projet, avec notamment Ewan McGregor et Robert Duvall, mais au bout de deux ans de post-production, le projet capote, faute de financement.

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En 2011, troisième tentative, rapidement avortée, avec Owen Wilson (pas plu mal que ça ait capoté, hein ?). Quatrième tentative en 2014 avec John Hurt et Jack O'Connell. Le projet capote pour des raisons d'argent, et surtout la maladie de Hurt. Cinquième tentative, en 2016, avec Michael Palin (un ex-Monty Python comme lui) et Adam Driver, qui capote pour les mêmes raisons de financement. La septième tentative, commencée en 2017, fut apparemment la bonne, le film a été tourné, tournage fini en juin dernier, avec Jonathan Pryce. Comme on le voit, Gilliam est un têtu, un acharné, et il a apparemment bien fait, mais il n'empêche que sept tentatives (même si la dernière est probablement la bonne) pour un seul film, ça en rajoute fortement au statut maudit de l'oeuvre de Cervantès, qui a connu bien des vicissitudes tout au long de l'histoire du Cinéma, entre films inachevés ou films achevés mais ratés... Sans doute parce que le roman, quasiment inadaptable il est vrai, parle d'un perdant, et est en quelque sorte la geste d'un ratage, l'histoire d'un perdant utopique et de ses mésaventures. Pas très positif, tout ça. J'espère que le film de Gilliam sortira bel et bien, j'espère que sa sortie ne sera pas annulée pour X raisons... jai vraiment envie de le voir, même si le film initial, avec Depp et Rochefort, aurait été immense aussi (le casting me branche plus que celui du film fini). Après, si le film est foiré, il ne faudra pas en vouloir à Terry : vraiment, il aura tout essayé pour le mettre en boîte, ce film, alors il faudra être indulgent ! Et ne pas trop lui parler de Lost In La Mancha en interviews, messieurs-dames les journalistes...