Spoilers...
Publié en 1989 (et en 1990 chez nous), La Part Des Ténèbres est un roman de Stephen King qui, s'il ne fait pas partie de ses meilleurs (ni de mes préférés, moi qui suis grand fan depuis toujours), n'en demeure pas moins un très bon cru, assez original de par son sujet : le double littéraire d'un écrivain prend vie afin de le tourmenter. Difficile (impossible, en fait) de ne pas faire un lien avec la vie personnelle de King : en 1977, King, qui commence à se faire un nom (déjà trois romans, en cette année-là, plus des nouvelles publiées dans des magazines et qui seront réunies en recueil l'année suivante, et déjà un film adapté de son oeuvre, et quel film, Carrie Au Bal Du Diable de Brian DePalma), publie, sous le pseudonyme de Richard Bachman, Rage, un roman de jeunesse (dont il fera interdire la réédition dans les années 2000 suite à diverses tueries dans des lycées, le roman parlant d'un lycéen pétant les plombs et prenant sa classe en otage après avoir tué deux profs), qui sera suivi, en 1979, 1981 et 1982, de trois autres opus signés Bachman. Hormis sa femme Tabitha et son agent littéraire (et très certainement son éditeur), personne ne sait que Bachman = King.
En 1984, King publie son cinquième Bachman, La Peau Sur Les Os, dont l'ambiance, le style, font vraiment plus King que Bachman (pour les autres, le style est franchement différent, c'est plus sombre, cynique, et sans éléments fantastiques ou horrifiques). Une fausse photo, au dos, d'un faux Bachman, ne trompera pas un étudiant qui, un jour de 1985, prendra contact avec l'auteur pour lui révéler la supercherie, ayant trouvé des similitudes de style, plus le fait que les deux auteurs partagent le même éditeur, le même agent, et que certains romans de l'un ou de l'autre ont des dédicaces similaires, pour les mêmes personnes. King capitule, mais est en même temps quelque peu soulagé (de plus, ses romans bachmaniens vont bien se vendre à partir de maintenant). Il fera 'mourir' Bachman d'une maladie, mais le ressuscitera à deux reprises, en 1996 (Les Régulateurs) et en 2007 (Blaze).
Ce petit préambule en deux paragraphes pour dire à quel point La Part Des Ténèbres est inspiré par la vie de King. Dans le roman et le film qui en a été tiré, ce film, La Part Des Ténèbres (The Dark Half), sorti en 1993 (mais tourné en 1990/1991, il y aura des soucis de production qui retarderont la sortie) et réalisé par George A. Romero (RIP mec), le personnage principal, Thad Beauont (joué par Timothy Hutton) est un écrivain qui a publié deux romans classiques, littéraires, sérieux, qui ne se sont pas bien vendus (et est en train d'en écrire un troisième que sa femme Liz (Amy Madigan) estime être son chef d'oeuvre), et en a aussi publié trois ou quatre, qui eux se sont super bien vendus, sous un nom de plume, George Stark, sans évidemment révéler publiquement qu'il s'agit de lui. Des romans violents, des polars hargneux, sanglants, aussi éloignés de ses oeuvres classiques qu'il soit possible de l'être. Il écrit ses romans classiques à la machine à écrire ; il écrit ses romans de Stark au crayon à papier, avec force compagnie de clopes et alcool, lui qui ne fume et ne boit plus depuis des années.
Un jour, alors qu'il achève un de ses cours (il est aussi professeur dans une université, comme pas mal d'écrivains), un étudiant vient le voir à la sortie avec un roman de Stark à la main, en lui demandant un autographe. Un peu surpris, Beaumont lui dit que ce n'est pas de lui, mais l'étudiant, Fred Clawson (Robert Joy), sourit en lui disant que la photo au dos du livre est bidon, que le nom est bidon, et qu'il a mené son enquête et sait que c'est lui, Beaumont, qui a écrit ces livres. Clawson menace carrément Beaumont de chantage contre une certaine somme d'argent. Ne voulant pas céder à la pression, Beaumont, après accord de son éditeur (qui savait évidemment pour son pseudonyme) et sa femme (évidemment elle aussi au courant), décide de 'tuer' Stark. Il convoque un journaliste et un photographe, fait poser une fausse tombe dans un cimetière non loin de sa maison du Maine (où il possède d'ailleurs un emplacement) sur laquelle il indique le nom de George Stark et la mention 'pas un mec très sympa', et pose amusé, pioche en main, en compagnie de sa femme. Dans l'article, il révèle tout (sauf le chantage) sur son pseudonyme.
Quelques jours plus tard, le photographe de la séance photo est retrouvé mort, violemment agressé, et la tombe factice du cimetière a été littéralement creusée. Puis c'est l'étudiant qui menaçait Beaumont de chantage qui est assassiné. Le shérif de Castle Rock, Alan Pangborn (Michael Rooker), bien que connaissant très bien le couple Beaumont depuis des années (dans la VF du film, ils se tutoient), accuse directement Beaumont d'avoir tué ces deux personnes : en effet, non seulement il est la seule personne que l'on puisse relier à ces deux victimes, mais surtout, on a trouvé ses empreintes sur les scènes de crime. Beaumont (qui, enfant, était sujet à de violentes migraines au cours desquelles il entendait le bruit de moineaux battant des ailes ; opéré, il lui trouva une sorte de tumeur, je n'en dis pas plus) sent revenir ses migraines et bruits d'oiseaux parasites et essaie de comprendre ce qui peut se passer. Son corps et son esprit semblent lui échapper par moments, il écrit, un jour, sur une feuille de papier, "les moineaux volent de nouveau", phrase qui, il ne peut le savoir, est retrouvée taguée au sang dans l'appartement de l'étudiant, Clawson. D'autres meurtres brutaux (l'éditeur de Beaumont et son associée) vont quelque peu disculper Beaumont, mais quand ce dernier parle à Pangborn de celui qu'il sent être le tueur, le shérif refuse de le croire : Beaumont lui parle, en effet, de George Stark, son nom de plume, qu'il vient de 'tuer' et qui, par vengeance, aurait pris forme physique et tuerait des gens de son entourage !
C'est Timothy Hutton qui joue aussi le rôle de George Stark, même s'il n'est pas forcément très reconnaissable au départ (le film daterait de maintenant, je jurerais que c'est Josh Brolin qui joue le rôle, mais c'est bien Hutton). Hutton est d'ailleurs, je dois le reconnaître, le point faible du film de Romero : il est un peu fadasse dans le rôle de Beaumont, et au contraire, en fait beaucoup trop dans celui de son double maléfique (sa "part de ténèbres" comme il le dit littéralement) George Stark. Un Stark caricatural du tough guy typique, aux santiags, blouson de cuir, cheveux gominés, tronche burinée et musique d'Elvis en accompagnement, il ne manque que la moto. Michael Rooker, lui, est juste parfait en shérif. Lui qui est habitué aux rôles un peu inquiétants (Henry : Portrait Of A Serial Killer, surtout) campe un représentant des forces de l'ordre très crédible, à la fois compétent et incrédule, tiraillé entre son amitié pour Beaumont et les preuves qui s'accumulent contre lui. Les autres acteurs (parmi lesquels Julie Harris, la Eleanor de La Maison Du Diable de Robert Wise) sont dans l'ensemble très bons.
La réalisation de Romero, dont c'est le premier film adapté de King (Creepshow, de 1982, était basé sur un scénario de Stephen King, qui adaptera en BD, peu de temps après, le film), est efficace. L'adaptation en elle-même, signée Romero, est assez fidèle. Le réalisateur subira des soucis de production, de remontage, qui feront qu'il ne sera pas super convaincu du résultat final, mais La Part Des Ténèbres, sans être un des meilleurs films de son réalisateur, est tout de même un très bon thriller horrifique (certaines scènes sont très gores, le film est interdit aux moins de 16 ans) qui se laisse regarder sans déplaisir. Surtout si on est fana de King.