Spoilers...
Existe-t-il un film d'horreur plus terrifiant que celui-ci ? C'est ce que je me suis souvent demandé à chaque visionnage. Sorti en 1987, Prix de la critique à Avoriaz en 1988, Prince Des Ténèbres est un film de John Carpenter, un réalisateur américain qu'on ne présente plus, car entre La Nuit Des Masques (alias Halloween, premier du nom), Fog, Assaut, New York 1997, The Thing, Christine, Vampires, L'Antre De La Folie, Invasion Los Angeles et Les Aventures De Jack Burton Dans Les Griffes Du Mandarin, le nombre de classiques qu'il a alignés est effarant. Tous n'ont pas marché en salles (en fait, assez peu d'entre eux ont marché en salles à l'époque !!), et parmi les films de Carpenter qui n'ont pas eu la chance de connaître le succès en salles, Prince Des Ténèbres est bien placé : le film a été moyennement reçu, tant par la presse (malgré le prix à Avoriaz) que par le public. La faute sans doute à plusieurs facteurs : pas de stars dans le film (OK, Donald Pleasence, et le rockeur Alice Cooper sont au casting, mais le premier n'a jamais été une gigantesque star, et le second joue un rôle muet et qui n'apparaît pas tout le temps dans le film) ; un scénario qui privilégie l'atmosphère plutôt que l'action, sauf dans sa conclusion ; le nom de Carpenter, synonyme de film un peu indépendant (il n'a jamais eu les honneurs d'une superproduction hollywoodienne, n'entrant pas dans le moule mainstream du cinéma hollywoodien) ; et un titre de film et une affiche) assez racoleur. Niveau acteurs, outre Pleasence (et Alice Cooper), on a Victor Wong, Jameson Parker, Lisa Blount, Dennis Dun, Susan Blanchard, Anne Marie Howard et Dirk Blocker, pas des têtes d'affiche, loin de là même. Certains (Dun, Wong) ont joué dans d'autres Carpenter, ou dans d'autres films connus (Wong dans L'Année Du Dragon et Le Dernier Empereur). Mais en général, le casting du film est relativement courageux.
Le scénario du film (signé Carpenter, sous le pseudonyme de Martin Quatermass) est également des plus courageux. L'action se passe de nos jours (enfin, au milieu des années 80) à Los Angeles. Le professeur Birack (Victor Wong), qui enseigne à l'université la physique quantique, est invité, ainsi que ses étudiants (parmi eux Brian - Jameson Parker - et Catherine - Lisa Blount), à venir installer leur matériel dans une usine désaffecte située dans un quartier désoeuvré de la ville. Cette invitation émane d'un prêtre, Loomis (Donald Pleasence), qui a besoin de leur aide pour étudier un mystérieux cylindre situé dans la crypte de l'église, cylindre rempli d'un mystérieux liquide vert tourbillonnant. Cette église appartenait à une secte étrange, la secte des Veilleurs, chargés de surveiller ce cylindre, qui serait Satan en personne, l'Anti-Dieu, coincé dans une dimension parallèle, et totalement inverse de la nôtre, coincé dans l'antimatière. Le liquide, qui semble doué de pensée, envoie des messages troublants aux chercheurs. Certains, durant leur sommeil, font des rêves étranges dans lesquels ils aperçoivent une forme humaine indistincte leur parler, d'une voix bizarre, du futur. Tous font le même rêve. Parallèlement, aux abords de l'église, des sans-abris se réunissent autour du bâtiment, comme pour l'encercler. Certains étudiants vont se retrouver possédés par l'esprit (sur)vivant dans le cylindre, et se mettre à attaquer les autres. Et dans la crypte, le cylindre commence à suinter de son liquide verdâtre. Une des étudiantes, Kelly (Susan Blanchard), va se retrouver possédée par le liquide, et donc par Satan, qui n'aura donc jamais été aussi près de revenir sur Terre...
En écrivant le résumé du film dans le précédent paragraphe, je me rends compte à quel point Prince Des Ténèbres est difficile à résumer sans que ça ne paraisse stupide. Un liquide verdâtre, Satan ? Satan, un liquide verdâtre ? Une pareille idée, loufoque et complexe (surtout quand on y associe des équations différentielles et de la physique quantique), ne devrait, logiquement, pas fonctionner dans un film sans que ça paraisse prétentieux et ridicule. Mais dans ce film de Carpenter, clairement un de ses sommets, ça fonctionne parfaitement. Surtout, il faut dire que le film joue sur une atmosphère absolument grandiose de totale angoisse. Se terminant sur un cliffhanger angoissant au possible (il faut voir le film pour comprendre, mais cette dernière image, représentée ci-dessus, est d'autant plus flippante que le film se termine sèchement), le film aligne les moments de tension et de terreur : les rêves des protagonistes, glauques et oppressants ; cette image de la pauvre étudiante coincée dans l'autre dimension, flottant dans l'enfer de l'antimatière (photo ci-dessous) ; ces SDF glauques qui, lentement et silencieusement, encerclent l'église (le film est, comme pas mal d'autres Carpenter, très western dans l'âme) ; ces morts dégueulasses (le type qui se fait ronger de l'intérieur par des insectes et tombe en morceaux ; le mec qui se taillade la gorge) ; ces plans volontairement mal cadrés, un peu en vrille, et très claustrophobes, qui en rajoutent à l'ambiance ; et ce cylindre rempli de liquide vert, flippant malgré qu'on ne voit que du liquide vert, au fond.
Les acteurs ne sont pas tous extraordinaires, et on déconseillera de voir le film en VF car celle-ci est, comme souvent, en-dessous de tout. Et le personnage de Walter, joué par Dennis Dun (vu dans les deux mêmes films que j'ai cités plus haut en parlant de Wong), est, avec ses blagounettes, assez amusant au départ, devient assez énervant (car à côté de la plaque avec ses vannes pas drôles) au fil des revisionnages du film. Et comme c'est un film qu'il convient de voir plusieurs fois car il est difficile de tout saisir en un seul visionnage, ça promet. Jameson Parker n'est pas mauvais, mais on a du mal à se dire que c'est lui le héros, tant il n'en a pas la carrure. Mais j'ai envie de dire que le film n'a pas de héros, et qu'on s'en fout, des personnages, car Prince Des Ténèbres est un film d'ambiance, un film qui vous foutera les chocottes à mort avec relativement peu de moyens, mais une indéniable force de conviction. Clairement, l'atmosphère de ce film est rigoureusement terrifiante, c'est un des films les plus flippants que je connaisse, loin devant Shining, L'Exorciste, Le Projet Blair Witch, La Maison Aux Fenêtres Qui Rient et La Maison Du Diable. Ce film, considéré par Carpenter comme le deuxième volet de sa trilogie de l'Apocalypse (le premier étant The Thing et le dernier, L'Antre De La Folie ; deux autres de ses meilleurs films), devenu culte par la suite, est probablement mon préféré de lui. Une oeuvre angoissante qui, malgré son âge, reste intacte, intouchable, immense.