SPOILERS...
En 1973, les gens qui allaient voir ce film en étaient presque à dégueuler dans la salle ; en tout cas, ils étaient on ne peut plus choqués. Meme si le film a un petit peu vieilli, on ne peut pas nier qu'il soit subversif. Ce film, bien entendu, c'est La Grande Bouffe, le plus grand film de Marco Ferreri, écrit en partie par le fameux Francis Blanche. Lors de sa sortie, le film provoquera un scandale monstre. Présenté à Cannes, je n'ose vous dire à quel point il fut dénigré, assassiné, massacré, considéré comme une honte cinématographique. Pourtant, 34 ans plus tard, on peut toujours revoir ce film, il garde un coté anar très fort, mais niveau provoc', on a vu bien pire (un an avant ce film, John Waters faisait son Pink Flamingos, quand meme - un an AVANT, je le répète).
Interprété par Philippe Noiret, Ugo Tognazzi, Michel Piccoli, Marcello Mastroianni et Andréa Ferréol (dont les personnages portent le meme prénom qu'eux, ce qui a du etre bien pratique pour que les acteurs mémorisent bien leurs roles !), le film raconte une histoire vraiment décalée : où comment quatre hommes, apparemment amis de longue date, ayant tous les quatre réussis dans la vie, veulent en finir, en utilisant comme mode de suicide ce qui leur plait le plus : la bonne cuisine. Ils vont se bafrer, se goinfrer, jusqu'à ce que mort s'en suive. Une vraie ripaille gauloise, une orgie de bouffe, mais aussi de sexe, comme on le verra plus tard.
Marcello (Marcello Mastroianni) est commandant de bord ; Ugo (Ugo Tognazzi) est patron d'un grand restaurant parisien ; Philippe (Philippe Noiret) est juge - et entretient des rapports très ambigus avec sa vieille nounou, qui vit toujours avec lui ; Michel (Michel Piccoli) anime une grande émission de télévision. Retirés dans une splendide villa parisienne (étonnant de voir autant de terrain dans Paris meme - on est dans les quartiers bourgeois et chicos de la capitale), qui appartient à Philippe, les quatre amis vont donc boufffer à outrance, des plats livrés de chez Fauchon (les plats viennent vraiment de chez Fauchon - grand restaurateur - et les acteurs les ont vraiment mangés, aucun trucage de nourriture ici), et préparés par Ugo (qui initie ses amis à la cuisine, dans le cas où il devrait partir le premier...). Sur insistance de Marcello (grand amateur de bolides et de gonzesses, vrai obsédé sexuel, bref, un Italien), des prostituées sont recrutées, pour 'animer' les lieux. Parallèlement, Philippe parvient à convaincre une maitresse d'école, Andréa (Andréa Ferréol, rondelette, limite obèse à la fin du film ,et qui ne parviendra quasiment jamais à perdre les kilos amassés lors du tournage de ce film), de venir avec eux. Bien sur, l'orgie de bouffe se transforme en bacchanale romaine à la Satyricon, les prostituées, nues, se faisant arroser de sauce et de bouffe diverse (gachée, donc, ce qui est assez écoeurant quand on pense à la misère du monde).
Mais très vite, elles en auront marre, et partiront d'elles-memes. Andréa, elle, par amitié pour les hommes (et par amour véritable pour Philippe), restera. Elle verra les hommes tomber un à un, d'abord Marcello, puis Michel (ravagé par la mort de Marcello), Ugo, et enfin, Philippe, mourant quasiment devant elle, à la fin du film. Seule, elle reste, et continue de manger, alors qu'un ravitaillement de bouffe de chez Fauchon arrive, qu'elle fait poser à meme le sol terreux du parc, au grand régal des chiens...
Le film est donc très subversif, mais aussi très drole. On peut trouver les pets et rots à outrance assez choquants, ainsi que la fameuse scène des toilettes qui explosent, et couvrent Marcello de...enfin, vous devinez ; Ugo parodiant Brando dans Le Parrain, scène de la fameuse tarte au cul (Andréa, qui s'assoit, nue, sur une pate à tarte, servant de moule), une bonne partie du film est vraiment drolissime. Malgré cela, le film est aussi très sombre : On assiste quand meme à la mort (le plus souvent, écoeurante) de quatre hommes. Marcello meurt apparemment de congestion, il est retrouvé, au petit matin, couvert de neige, dans la voiture de modèle italien qu'il chérissait, au milieu du parc. Michel, lui, est victime d'une dysenterie violente, l'obligeant à jouer du piano debout, et extrèmement fort, pour couvrir les pets foireux qui, finalement, le ravagent (grosse marque de merde liquide sur le sol pierreux, assez choquant). L'estomac d'Ugo explose littéralement, à force de manger. Quant à Philippe, il est apparemment victime de diabète fulgurant, et d'épuisement.
On ne va pas dire le contraire : le film est toujours très marquant. Drole et morbide, La Grande Bouffe est un grand moment de cinéma orgiaque et débridé, totalement subversif et anarchiste, porté par cinq acteurs de talent (meme si Andréa Ferréol mise surtout sur sa plastique rondouillarde qu'autre chose). La musique, de Philippe Sarde (avec solo de piano de Michel Piccoli), est très belle. l'image est datée, mais la réalisation, elle, est impeccable. En résumé, un grand film, à ne pas mettre entre toutes les mains (interdit aux moins de 12 ans), à ne pas regarder en mangeant, ni avant de manger, mais à voir néanmoins. Un classique du cinéma français, meme si fait par un italien, et meme si deux des acteurs sont, eux aussi, italiens (et non doublés pour le film, d'ailleurs). Excellent.