SPOILERS...
Que dire devant un tel film ? Adaptation (par l'auteur meme du livre) du roman du meme nom sorti peu de temps avant la seconde guerre mondiale, Johnny Got His Gun (Johnny S'en-Va-t-En Guerre en VF, on préfèrera la VO) de Dalton Trumbo est bouleversant. Littéralement.
Rarement on aura montré les horreurs de la guerre (ici, première guerre mondiale) avec autant de pudeur (on ne voit jamais le 'corps' de Johnny) mais aussi de virulence. Sorti en 1971, le film sera acclamé partout. On se souvient que, quelques jours après la sortie du livre, Dalton Trumbo lui-meme demandera qu'on retire le livre de la vente, afin que l'extrème-droite américaine ne récupère pas le calvaire du héros pour en faire leur étendard, du style 'voyez ce que votre ennemi peut faire subir à vos enfants' (pourtant, le livre fustige la guerre comme vous n'avez pas idée, et est radicalement de gauche). On se souvient aussi que Trumbo fera partie, dans les années 50, des scénaristes blacklistés de la Chasse aux Sorcières du sénateur McCarthy, Trumbo étant suspecté de communisme. La fameuse et infame 'liste noire' d'Hollywood. Trumbo sortira finalement de ce mauvais pas, après la fin du maccarthysme. C'est une des raisons qui le pousseront à réaliser lui-meme l'adaptation de son livre, estimant probablement que personne d'autre que lui ne pourrait réellement adapter le roman sans en omettre le propos sous-entendu.
On ne va pas faire l'affront de dire de quoi le film parle (meme un groupe de hard rock comme Metallica connait ce film, leur chanson One en étant totalement inspirée). Quoique. Hé bien sachez que ce film raconte le martyre de Johnny, soldat américain qui, à quelques jours de la fin de la première guerre mondiale, saute sur une mine. Ce qu'il en reste ? Une tete, qui ne peut plus voir, ni parler. Un tronc, sans bras ni jambes. Un légume, selon les médecins, étonnés de le voir en vie, et le maintenant en vie pour faire progresser la science. Johnny devient un cobaye, une bete de foire (meme si on ne le montre pas à la foule, il reste cloitré sous son drap, dans ce lit immense pour lui). Un freak. Mais ce légume, ce tronc humain pense, se rappelle de sa vie (nombreux flash-backs dans le film, des flash-backs aussi colorés que le reste du film est en noir et blanc), et, intérieurement, souffre. Il vit un calvaire, réclame silencieusement une euthanasie qui, hélas, ne viendra pas, la seule infirmière compatissante ayant compris ce que Johnny réclame (par des mouvements de tete assimilés à du morse, elle comprend, ainsi que les médecins plus tard, le mot HELP) et qui tente de le 'débrancher' (en fait, de lui faire une piqure mortelle) sera interpellée 'à temps' (si on peut dire) par un médecin... La dernière minute du film (Johnny hurlant silencieusement S...O...S...HELP...S...O...S...HELP...) est ahurissante de tristesse et de désespoir. Johnny est donc condamné à vivre (ses proches le croient mort), et les médecins feront tout pour le garder en vie le plus longtemps possible.
Parlons de l'interprétation. Elle est éblouissante, hors du temps, entre Timothy Bottoms dans le role de Johnny (que l'on voit dans les flash-backs) ; Jason Robards dans le role du père de Johnny ; Donald Sutherland dans le role (marquant) de Jésus-Christ, qui apparait à Johnny dans ses visions - scènes magistrales ; Kathy Fields dans le role de la fiancée de Johnny ; Diane Varsi dans le role de l'infirmière compatissante (la quatrième du film)...
Les flash-backs du film sont assez divers, entre la nuit d'amour de Johnny et de sa fiancée, la veille de son départ au front (souviens-toi, c'est pas une pute, que lui rappelle le père de sa fiancée) ; la vision du Christ dans son atelier de croix blanches en bois, préparant en quelque sorte la future hécatombe de la guerre ; les fetes de Noel dans l'atelier où Johnny travaillait avant d'aller combattre ; une excursion familiale, partie de peche entre Johnny enfant et son père ; plus une ou deux scènes surréalistes...Toutes ces scènes sont en couleurs, ce qui donne un sérieux contraste avec les scènes de l'hopital militaire, en noir et blanc sans espoir.
Visuellement superbe, le film est quasi insoutenable. Il ne montre jamais le corps de Johnny (par pudeur) mais est une attaque féroce (et encore, 'féroce' est un mot trop faible) de la guerre, de la connerie humaine, de la stupidité de la médecine. Exception faite de Johnny, le seul personnage réellement humain est celui de l'infirmière, qui comprend ce qui arrive au héros. Les autres ne voient en lui qu'une tas de chair vivant, caché sous un drap. Si vous volez voir un vrai chef d'oeuvre inaltérable, qui sera toujours autant d'actualité dans 36 ans qu'il l'est depuis 36 ans, regardez Johnny got His Gun. Et tremblez, criez de fureur devant cette immonde connerie qu'est la guerre. Aucun autre film ne vous fera le meme effet. Il est unique. Rien que la vision des canons du générique de début est révoltante...
ADMIRABLE !