Spoilers...
Mario Bava, vous connaissez ? Non ? Un des maîtres du cinéma d'horreur made in Italy. Un grand nom, qui n'a certes pas réalisé que de grands films (par exemple, Baron Vampire, L'Île De L'Epouvante, Une Hache Pour La Lune De Miel ne sont pas terribles) mais à qui on doit quand même un des premiers gialli (pluriel de giallo) de l'histoire : Six Femmes Pour L'Assassin. Le giallo (genre qui n'est pas concerné par le film que je vais aborder ici, pour la seconde fois, sur le blog), c'est ce polar horrifique au climat stressant et poisseux, aux meurtres stylisés, au tueur généralement ganté et vêtu de noir, insaisissable jusqu'à la fin, et aux intrigues alambiquées. Le terme de giallo ('jaune' en italien) vient d'une série de romans policiers à la couverture jaune, des romans de bas étage, des romans de gare. L'équivalent transalpin de notre fameuse Série-Noire. Mais si Bava a quasiment crée ce sous-genre de thrillers typiquement italiens (il a aussi fait La Baie Sanglante en 1974), sous-genre qui sera par la suite popularisé par Dario Argento (sa trilogie animalière, Les Frissons De L'Angoisse, Ténèbres), il a aussi fait de purs films d'horreur.
Parmi les plus connus, on a Le Masque Du Démon (1960), Le Corps Et Le Fouet (1963) avec un Christopher Lee terrifiant... et on a, en 1963 aussi, ce film, sorti dans les pays anglophones sous le titre de Black Sabbath (ce qui inspirera son nom à un certain groupe de hard-rock britannique...), dont le titre original italien est I Trei Volti Di Paura, et dont le titre français est Les Trois Visages De La Peur. Long de 90 minutes, ce film en couleurs est d'un genre assez particulier et que personnellement j'adore : le film à sketches. Comme son nom l'indique, le film à sketches est constitué de plusieurs films dans le film, des courts-métrages plus ou moins reliés entre eux. Et comme le titre du film l'indique, ici, on en a trois. D'une durée à peu près égale (dans les 20 minutes pour le premier, un peu plus de 40 minutes pour le second, presque 30 minutes pour le dernier, tous avec un mini-générique. Et tous remarquables.
Le film est présenté (il apparaît au début et à la fin du film, mais il joue aussi dans le second sketch) par le grand Boris Karloff. Cet immortel interprète de la créature de Frankenstein dans les années 30 (La Fiancée De Frankenstein, ce chef d'oeuvre), qui sera aussi le maître d'oeuvre de la série TV horrifique Thriller diffusée aux USA au début des années 60, n'était alors plus de la toute première jeunesse, mais il était toujours aussi inquiétant et hypnotique. Il présente le film sur un fond bleu, avant le premier sketch, et revient dans le final, dans une scène totalement loufoque qui, dans les premières versions du film, avait été virée et remplacée.
DVD du film
Je ne me souviens plus de la scène qui avait été placée en conclusion à la base, mais je sais que la fin officielle est présente sur le DVD français du film (aux éditions Montparnasse, très bonne qualité générale, film en VF et VOST, et malgré les photos du boîtier, il est bien en couleurs du début à la fin), et on y voit Karloff à cheval, dans le look qu'il a dans le second sketch (car il joue dans ce second sketch), et alors que la caméra recule, on distingue l'équipe du tournage et on se rend compte que le cheval est un faux. Une fin amusante qui veut dire qu'après tout, il ne faut pas tout prendre au sérieux. Un peu comme la fin d'un certain film de Jodorowsky fait 10 ans plus tard...
Le premier sketch s'appelle "Le Téléphone", et il est interprété par Michèle Mercier, immortelle interprète de l'héroïne-titre de la saga des Angélique dans les années 60 (une saga romantico-historique qui repasse à la TV plus souvent qu'à son tour, généralement en été parce qu'en été les gens sont tellement abrutis par le soleil et les vacances qu'ils regardent la TV comme des veaux sans se poser de questions (ou ne la regardent pas du tout), et elle est d'ailleurs en train d'être rediffusée en ce moment, sur Téva il me semble). Elle est blonde dans la saga (et dans la vie), mais dans ce film, elle est brune. Elle campe une jeune femme qui, un soir, chez elle, reçoit un coup de téléphone étrange, un homme (qui l'appelle par son prénom) la menace de la tuer avant la fin de la soirée. Apeurée, elle va recevoir un certain nombre de coups de téléphone, et affolée, va appeler une amie (avec qui, on l'apprend, elle est longtemps restée en froid, avant ce soir-là) afin qu'elle vienne chez elle la soutenir. Le pire dans l'histoire : peu après ce coup de fil désespéré à son amie (qui va la rejoindre), l'amie en question, un mouchoir sur la bouche, appelle l'héroïne pour la menacer de mort et on comprend que c'est elle le mystérieux interlocuteur !
Ah oui, j'avais prévenu en haut d'article qu'il y aurait des spoilers, désolé, mais faut vous en prendre qu'à vous.
Dans le second sketch, "Les Wurdalaks", on est en pleine Europe centrale, genre Transylvanie (ce n'est pas précisé), et probablement au début du siècle ou à la fin du précédent (genre l'époque de Dracula, quoi). Un jeune noble (Mark Darmon) arrive, de nuit (une nuit d'orage), à cheval, non loin d'une bâtisse isolée afin d'y être hébergé pour la nuit. Les habitants sont assez tendus, apeurés, ils attendent le retour du patriarche (Boris Karloff), parti sur la route, et ils espèrent tous qu'il sera de retour avant cinq jours, ce qui fait le soir-même, à minuit. Car, leur a-t-il dit, si je ne reviens pas avant ce délai, c'est que j'aurai été attaqué par un wurdalak et transformé en l'un d'eux. Peu après minuit, on frappe à la porte, et c'est le vieux qui arrive. Mais sa famille, le voyant avec une tache de sang sur la poitrine, et compte tenu que le délai a été passé, refuse d'abord de le faire entrer, de peur, avant de céder. D'inquiétants évênements vont alors se produire durant la nuit...
Enfin, dans le dernier sketch, "La Goutte D'Eau", on a Jacqueline Pierreux (une autre actrice française) dans le rôle d'une thanatopracticienne (une préparatrice) qui, un soir, est appelée de toute urgence par la dame de compagnie d'une malade. D'abord refusant de venir compte tenu de l'heure, elle cède et à son arrivée, voit le cadavre de la femme, apparemment morte dans une longue agonie, le visage étant atrocement défiguré par la douleur ou la peur. Aperçevant au doigt du cadavre une belle bague, elle la vole, discrètement. De retour chez elle, elle va se mettre à entendre le bruit d'une goutte d'eau s'écoulant d'un robinet. Mais aucun des robinets de son appartement ne fuit, pourtant. Une soirée qui va la pousser à la terreur et à la folie...
Trois sketches remarquables (mention spéciale aux ambiances, glaçantes, notamment dans le premier sketch, qui a tout d'un Alfred Hitchcock), très bien réalisés (Bava n'a jamais été un metteur en scène de génie, mais il sait très bien placer sa caméra, c'est déjà ça), bien écrits et globalement très bien interprétés (conseil : regarder le film en VOST, c'est de l'italien, mais cette langue passe très bien à l'oreille ; et le jeu des acteurs est souvent affaibli par le doublage, qui n'est pas particulièrement affreux ici, mais n'améliore pas l'ensemble, comme toujours). Mon préféré des trois segments est probablement cette efficace et intéressante variation sur le vampirisme (plus des goules que des vampires, ceci dit) qu'est le second et plus long sketch, celui avec Boris Karloff, un Karloff excellent du début à la fin, et sur lequel plane un gros doute pendant la première partie du sketch (est-il un Wurdalak ou non ? Vous le saurez en regardant le film). Dans l'ensemble, Les Trois Visages De La Peur est un chef d'oeuvre du genre, et probablement même le meilleur film de Bava, devant Le Corps Et Le Fouet, Le Masque Du Démon et Six Femmes Pour L'Assassin, tous remarquables en même temps. Mais je le place en premier, personnellement !