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SPOILERS !!

Vous ne sauriez imaginer ma joie quand j'ai appris, en 2015, la sortie DVD (et Blu-ray) de ce film. J'ai crevé le plafond, j'ai hululé de joie, j'ai pissé partout, ce fut un grand moment...j'étais heureux, quoi. Quelques mois plus tôt, le film repassait, pour la première fois depuis la bataille d'Hastings, à la TV, sur Arte, en version restaurée, et je me suis dit que, niveau DVD, ça sentait bon la future sortie. J'aurais du parier avec mes collègues d'alors, j'aurais gagné, assurément, sauf s'il avait fallu donner une date précise pour la sortie. Ce film, Le Convoi De La Peur, alias Sorcerer pour son titre original qui est aujourd'hui quasiment son titre officiel tous pays confondus, date de 1977, il a donc 40 ans cette année. C'est un film de William Friedkin, et c'est très certainement son meilleur, son chef d'oeuvre, son monument. Beaucoup de critiques cinéma, de fans, pensent ainsi (même si, pour beaucoup de critiques cinéma professionnels, ce ne fut pas le cas à la sortie du film), je pense ainsi, et Friedkin lui-même estime que, de tous ses films, c'est le seul dont il ne retirerait aucune image, aucune scène, un film qu'il referait exactement à l'identique s'il devait le refaire. Bref, celui dont il est le plus fier, le plus proche. Son meilleur, quoi. En ce qui me concerne, si je devais  établir une liste de mes films préférés, je veux dire mes préférés ABSOLUS, Sorcerer serait classé deuxième derrière La Montagne Sacrée d'Alejandro Jodorowsky. Et il n'y aurait pas beaucoup d'écart entre eux !

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Ce film est un remake, celui du Salaire De La Peur de Clouzot (1953), et par la même occasion une deuxième adaptation du roman du même nom écrit par Georges Arnaud. Il paraît que lorsque Friedkin a rencontré Clouzot pour lui demander l'autorisation de faire un remake du film (il a aussi rencontré Georges Arnaud, auteur du roman, qui a accepté illico, ayant une dent contre Clouzot depuis des années), il lui aurait promis de ne pas le réussir aussi bien que Clouzot avait réussi le sien (Friedkin, grand amateur de Clouzot et de son film, qui l'a marqué adolescent, n'estime pourtant pas que Le Salaire De La Peur soit le meilleur de Clouzot) ! A l'époque où il met en chantier son film, Friedkin sort de deux cartons au box-office : French Connection en 1971, L'Exorciste en 1973. Quand un réalisateur aligne, de suite, et en deux ans d'écart, deux films aussi parfaits dans leurs genres, c'est un peu carte blanche (en français dans le texte) à Hollywood. De la même manière qu'on a laissé Boorman faire Zardoz après son succès avec Délivrance, on a laissé Friedkin mettre en projet ce film qui, pourtant, sur le papier, sonne furieusement infaisable. Refusant absolument que son film ne sonne pas vrai (un reproche à faire au film de Clouzot, c'est d'avoir tourné le film en Provence, alors qu'il est censé se passer au Guatemala ; mais Clouzot n'avait pas le budget et les moyens techniques nécessaires pour aller tourner là-bas, évidemment ; mais il n'empêche qu'il est difficile de prendre les carrières de pierres provençales pour un décor sud-américain...), Friedkin entend bien tourner là où ça se passe, bon Dieu de merde. C'est ainsi que le film a été tourné dans la jungle (en République Dominicaine ; au départ, ça devait être en Equateur), mais aussi, pour parfois un résultat de même pas 10 minutes à l'écran, à Paris, Vera Cruz et Jérusalem, sans oublier le New Jersey. Oui, il a même été jusqu'à tourner au New Jersey, vous rendez-vous compte de l'audace de ce type.

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Niveau distribution, Friedkin envisageait un casting de malades : Steve McQueen, Lino Ventura, Amidou et Marcello Mastroianni. Notre Lino national aurait été très bien, mais il refusera, se sentant trop vieux pour ces conneries (pourtant, il fera Le Ruffian quelques années plus tard). Mastroianni refusera le rôle, apparemment trop occupé avec la garde de sa fille Chiara et en pleine séparation d'avec Catherine Deneuve (mère de Chiara) pour avoir le temps d'aller batifoler en Americca del sur. McQueen exigera que sa femme, Ali MacGraw (avec qui il divorcera en 1978) l'accompagne et ait un rôle, mais Friedkin n'a pas prévu de rôle féminin (le seul rôle féminin du film, une serveuse dans un bastringue, n'a pas de nom, ni de réplique) et donc, c'est non (soit dit en passant, McQueen fut le premier à se désister, et ce ne fut pas sans répercussions sur le refus de Ventura). Seul reste Amidou, immense acteur franco-marocain connu surtout pour ses rôles dans les Lelouch (La Vie, L'Amour, La Mort), mais pas très bankable. On engage Roy Scheider, à l'époque auréolé des Dents De La Mer et de Marathon Man ; on engage Francisco Rabal, acteur espagnol habitué des tournages de Luis Bunuel, inconnu ou presque aux zuhéssa. Et on engage Bruno Cremer, que Friedkin a sûrement vu dans Section Spéciale, La 317ème Section ou Paris Brûle-t-Il ? mais probablement pas dans L'Alpagueur. Pas un casting de méga stars, mais un casting, en tout cas, des plus solides, et une chose à dire au sujet de ces quatre acteurs : c'est sans doute le tournage qui veut ça, mais ils jouent avec un réalisme, une conviction totales. A regarder le film, on a l'impression que les camions utilisés contenaient réellement de la vraie nitro et qu'ils ont vraiment risqué leur vie ! Quand Amidou gémit et hurle, tremblotant, alors que le camion qu'il conduit roule sur une planche pourrie qui fait s'affaisser le bouzin, ça sent le vrai, pas un jeu d'acteur. Et le spectateur, confortablement assis sur son cul dans son canapé ou dans la salle, ne peut s'empêcher de frissonner, de trembler, de ressentir l'adrénaline du moment.

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Sorcerer a eu bien des soucis dans sa vie. A sa sortie, le film n'aura aucun succès, bide commercial monumental, une pile incroyable doublée de quelques critiques un peu assassines. Mais quelques semaines plus tôt, sortait La Guerre Des Etoiles. Sorcerer, film nihiliste et lent (il dure 116 minutes, et l'action proprement dite, le départ des camions autrement dit, ne démarre qu'au bout d'une heure !), film d'atmosphère et quasiment métaphysique, n'avait aucune chance face au bulldozer de Georgie Boy, qui aligne les scènes d'action au poids et possède un montage et un rythme des plus frénétiques. Sans parler d'effets spéciaux tuants et en abondance et d'un happy-end. Sorcerer n'est pas seulement nihiliste au possible, il est aussi vrai, sans trucages (ou quasiment sans trucages : le pont suspendu...). C'est du cinoche burné, viril, à l'ancienne, du vrai, qui sent la sueur et la Motul. Et il a été tourné en dix mois, dans des conditions peut-être pas aussi rocambolesques que celles du Apocalypse Now de Coppola (qui tournait son film en même temps que Friedkin, aux Philippines essentiellement), mais tout de même. Intempéries, malaria, blessures, tensions avec l'équipe techniue (le directeur de la photographie, qui a tourné les séquences du prologue, fut remplacé au bout de quelques jours dans la jungle, ne sachant pas, selon Friedkin, la mettre en valeur), décors naturels tout sauf hospitaliers, dépassements de budget, ce film a connu ses heurts. Qu'il ait pu être fait, qui plus est tel que Friedkin l'envisageait (casting excepté, car comme je l'ai précisé plus haut, seul Amidou était dans les acteurs envisagés au départ), est un fuckin' miracle. Et tout ça, sans parler du titre original ("sorcier"), qui aurait pu laisser présumer un film fantastique, après tout, Friedkin avait réalisé L'Exorciste, mais non, pas du tout. C'est le nom d'un des deux camions (l'autre est Lazaro) du film, celui de Cremer et Amidou. Ce titre original a quelque peu déstabilisé, à sa sortie. Le titre français, Le Convoi De La Peur, est moins bon, trop proche du titre du Clouzot, pas original. Sorcerer, par contre, ça claque ! Ne m'en veuillez donc pas si je continue d'utiliser ce titre plutôt que le français (en plus, c'est plus rapide à écrire).

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Et il faudra attendre 2015 pour que ce film sorte enfin (en copie restaurée, de toute beauté) en DVD et BR, après une ressortie salles et une rediffusion TV. Auparavant, il fallait se contenter d'un DVD Z1  (américain, donc) de qualité moyenne pour ce film, rien d'autre (ou alors, une vieille VHS ?)... Cet article est une refonte d'un ancien article (datant de 2009, et en fait, d'un peu avant, 2008 initialement, quand mon blog était encore sur AlloCiné) sur le film, dans lequel je passais le plus clair de mon temps à gueuler sur le fait que ce film était introuvable. Maintenant, je braille de bonheur car ce film est disponible partout, alors si vous ne l'avez encore jamais vu, c'est impardonnable ! Foncez le regarder, je vous attend... Ah, vous voilà, alors, vous avez aimé ? J'en étais sûr ! Bon, retour à l'article sur Sorcerer. Déjà plusieurs centaines de mètres d'article, et je n'ai pas encore parlé de l'histoire, même si, remake d'un classique oblige, c'est dans l'ensemble connu comme le loup blanc. Comme je l'ai dit plus haut, Sorcerer ne démarre vraiment qu'au bout d'une heure. Ce qu'on voit durant cette première heure, c'est la présentation, en quatre saynètes, des quatre personnages principaux, puis les raisons de l'organisation de ce parcours en camion (et le recrutement et la préparation des volontaires). Un truc qui est fort avec ce film, c'est que les quatre personnages principaux ne sont pas des héros. Ce sont en fait des crapules ou des truands, pas des gens très recommandables, mais il n'empêche qu'on s'attache fortement à eux, et quand l'un d'entre eux meurt dans le film (j'ai prévenu qu'il y aurait des spoilers, donc ne vous en prenez qu'à vous-mêmes), et ils meurent tous par ailleurs, on est triste. Comment éprouver de la peine de voir un terroriste mourir ? En regardant Sorcerer, voilà comment. 

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Le film commence par présenter les quatre 'héros'. On a d'abord une très courte (deux minutes) scène muette à Vera Cruz, où Francisco Rabal, qui joue un tueur à gages sans nom (Nilo serait son nom, mais il n'apparait nulle part dans le film) abat sa cible dans un immeuble. Puis on arrive à Jérusalem. Kassem (Amidou) et ses complices, des terroristes palestiniens, viennent de foutre une bombe dans la rue. Ils se réfugient dans leur repaire, mais la police arrive et seul Kacem parvient à s'enfuir, voyant ses complices encore vivants (certains ont été abattus) se faire à moitié lyncher par la foule haineuse. Puis, on arrive à Paris, où Victor Manzon (Bruno Cremer), dirigeant d'une firme d'investiteurs, est reçu par le patron de la Bourse pour répondre d'une accusation de malversations financières. Il risque la prison, et son beau-frère (Jean-Luc Bideau), responsable de la fraude, se suicide par lâcheté. Enfin, à Elizabeth, dans le New Jersey, Jackie Scanlon (Roy Scheider), chauffeur et homme de main de la mafia, participe à un braquage (la caisse communautaire d'une église dirigée par un gang rival) qui tourne mal, et au cours de leur fuite en voiture, il cause involontairement un accident dont il est le seul à sortir vivant. Mais pour être la cible d'une vendetta de la part du gang rival... (notons au passage que les dialogues de la section israelienne sont en arabe, ceux de la section parisienne en français, et qu'on a aussi de l'espagnol et un peu d'allemand dans le film, qui est cependant essentiellement en anglais).

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Ces quatre bienfaiteurs de l'humanité se retrouvent dans la même petite bourgade paumée d'Amérique du Sud, Porvenir, dans un pays non défini, mais qui peut être le Guatemala, le Nicaragua ou autre. Un pays en proie à une dictature d'opérette, et le village en question est un trou paumé d'un glauque terrifiant, une sorte de prison à ciel ouvert, en proie à la répression policière. Renommés de patronymes hispanisants (Serrano pour Manzon, ce qui me fait furieusement penser à du jambon, Dominguez pour Scanlon, Martinez pour Kassem...), ils végètent dans la crasse et espèrent amasser suffisamment de pognon pour aller ailleurs. Ils ne se connaissent que de visage. Ils vont cependant faire équipe par hasard, s'engageant tous comme volontaires afin de convoyer des caisses de nitroglycérine pour un chantier oléifère à 300 kilomètres, à bord de vieux camions déglingués, sur des routes plus que périlleuses, pour 16 000 pesos et des autorisations de résidence officielles par tête de pipe, à raison de deux camions, et de deux chauffeurs par camion. L'un des chauffeurs initiaux, un Allemand (joué par Klaus John, qui mourra peu après la tournage), est mystérieusement retrouvé assassiné le jour du départ, et Nilo prend sa place avec une aisance et un sens de l'à-propos assez éloquent (il l'a tué, c'est évident, pour partir à sa place). Manzon, Scanlon et Kassem sont les autres. Scanlon part avec Nilo, Kassem (qui sait que Nilo a tué l'Allemand, avec qui il était ami, et qui le déteste pour ça) avec Manzon.

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Quand les deux camions partent pour cette mission suicide, il reste 56 minutes de film (53, en fait, car il y à aussi le générique de fin, ah ah !), et je ne vais pas raconter dans le détail ce qui arrive alors, mais sachez que vos nerfs seront à rude épreuve tout du long. C'est juste ahurissant de maîtrise, de justesse de jeu (comme je l'ai dit plus haut, on a vraiment l'impression que ces camions sont vraiment, pour le tournage, remplis de nitro, tant les acteurs semblent à bout de nerfs parfois), et le scénario, signé Walon Green (auteur du scénario de La Horde Sauvage), est à tomber. Sorcerer est un authentique chef d'oeuvre du cinéma, un film d'aventures solide et envoûtant (la musique, signée du groupe d'ambient allemand Tangerine Dream, est superbe), magistralement mis en images, magistralement monté et réalisé. Une oeuvre totalement prodigieuse qu'il faut à tout prix (re)découvrir, et qui, pour moi, et je sais que ça va en choquer quelques uns mais qu'importe, enterre littéralement le pourtant magistral film de Clouzot ! Ce film, avec son tournage insensé qui repisse de partout durant le visionnage, son casting risqué (pas de vraie stars), son ambiance grandiose, est incontestablement, avec Apocalypse Now, un des derniers grands représentants du cinéma à l'ancienne, d'avant les effets spéciaux à outrance et les multiplications de scènes d'action, bref, d'avant les blockbusters survitaminés qui, à l'époque, commençaient, avec La Guerre Des Etoiles, Superman et autres, à pointer le bout de leurs museaux. Et qui, désormais définitivement, règnent en maîtres sur le cinéma moderne. Une page se tourne avec la dernière image de Sorcerer, ces deux bandits new-yorkais pénétrant, remplis de menace, dans le petit bastringue de Porvenir, sur fond de musique de Tangerine Dream... Rhââ, rien qu'à écrire ça, et bien que je vienne de me revisionner le film, j'ai comme des envie de reglisser le DVD dans le lecteur et de repartir, 116 minutes durant, dans ce si grandiose enfer personnel qu'est Sorcerer. Je vous laisse, j'ai à faire, des caisses de nitro en bois rongé par l'humidité à transporter...