OK. OK, maintenant, ça va chier. Parce que je vais reparler de Kubrick, et d'un de ses meilleurs films (en même temps, en a-t-il fait de mauvais ?), et d'un de mes films préférés au monde. Orange Mécanique. Un des films les plus polémiques au monde. Sorti en 1971, le film sera, dans son pays d'origine (l'Angleterre, pays dans lequel Kubrick s'était définitivement installé, en bon new-yorkais qu'il était, depuis le milieu des années 60), pendant longtemps interdit de diffusion et de commercialisation, et ce, suite à des faits divers violents (attaques de hooligans, diverses agressions et casses) survenus peu après la sortie du film. Pour tout dire, c'est Stanley Kubrick lui-même qui demandera le retrait de son film à l'affiche, du jamais-vu : un réalisateur qui fait retirer son propre film de l'affiche et en fait stopper la diffusion, qui se refuse à gagner de l'argent dessus, en gros ! Après la mort de Kubrick, le film (qui circulait quelque peu sous le manteau, entre temps) sera remis en circulation officielle, on peut désormais l'acheter en DVD ou blu-ray sans problème en perfide Albion, actuellement. Pour la France, il n'y à jamais eu de problèmes (on est les plus forts), même si le film a, aussi, été source de polémique : trop violent, quelques faits divers survenus peu après sa sortie ont sans doute, comme en Angleterre, été inspirés par le film, etc... Mais dans les années 90, le film fut (enfin) commercialisé en VHS, on fut même parmi les premiers, en Europe, à le faire ; et aujourd'hui, entre le DVD et le blu-ray, choisissez ! Sans parler des diffusions TV : n'espérez pas voir ce film un jour sur TF1 ou M6 un soir de semaine à 20h50, juste après Canteloup ou Scènes De Ménages, mais Arte, quand il leur prend la bonne idée de faire un cycle Kubrick (et depuis la mort de Kubrick en 1999, c'est arrivé au moins trois fois, ce cycle !), ne manque jamais de le diffuser, en seconde partie de soirée.
A la base, ce film ne devait pas voir le jour : Après 2001 : L'Odyssée De L'Espace (1968), Kubrick avait l'intention de faire un film sur Napoléon (c'est même Jack Nicholson qui aurait tenu le rôle). Mais un autre film ayant été fait, peu de temps avant (Waterloo, avec Rod Steiger), et ce film ayant été un bide retentissant, Kubrick décidera, alors qu'il avait amassé une tonne de documentation pour son film, de ne pas le faire. A la place, il choisira d'adapter un roman paru en 1962, écrit par Anthony Burgess : L'Orange Mécanique. Ecrit dans un langage inventé (le nadsat, sorte de croisement entre anglais argotique, russe et romani) pour sa grande majorité, le roman parle d'une société un peu futuriste (ou utopique) dans laquelle évolue Alex et ses amis, des adolescents, à peine 15 ans dans le roman, qui font les 400 coups. Agressions, vols, cambriolages, viols, tabassages, bastons dans les rues, etc, ils n'en manquent pas une. Alex se fait serrer par la police suite à une agression, sa victime décède, il part en taule, et là, sa vie bascule. A sa sortie, ce n'est plus le même homme, et la société va lui faire payer ses erreurs, qu'il a déjà payées, d'ailleurs. Voilà, grosso merdo, le résumé du roman, et du film, mais je vais faire un résumé plus détaillé ci-dessous, quand même. Le roman est un chef d'oeuvre, mais il est dans un premier temps difficile à lire ; pas à cause de la violence qui y règne, mais à cause de ce langage, ce nadsat (un glossaire est en fin de livre, bien utile), qui est utilisé pour la quasi-totalité du livre, et qui, à grands coups de tchelloveck (homme), rassoudok (cerveau), viochka (vieille) ou autres mots, transforme le roman en... autre chose. La trouvaille du roman, de Burgess, trouvaille que Kubrick a bien repris dans son adaptation.
Le film est une adaptation, dans l'ensemble, fulgurante du roman, à ceci près que Kubrick a changé certaines choses : le personnage d'Alex est nettement plus jeune dans le roman que dans le film (Kubrick a vieilli le personnage à la fois parce qu'il pensait avoir du mal à trouver un acteur de l'âge de l'Alex du roman, soit 14 ans, qui soit bon ; en partie aussi parce qu'il avait découvert Malcolm McDowell et le trouvait parfait pour le rôle malgré qu'il soit plus âgé ; et en partie pour ne pas rajouter de futures emmerdes de morale à celles que le film allait, de toute façon, récolter) ; le personnage de la "femme aux chats", c'est le contraire : dans le roman, c'est une vieille peau, et dans le film, une femme dans la force de l'âge (mais une vieille peau aussi, dans un sens, ah ah) ; autre différence, le personnage du vieux lecteur de la bibliothèque disparaît, plus ou moins remplacé par celui du clochard, qui, dans le film, a les mêmes rôles que lui (les mêmes scènes). Enfin, la différence la plus majeure consiste en l'absence totale du dernier chapitre du roman dans l'adaptation, mais a s'explique par deux choses : tout d'abord, cet ultime chapitre n'a pas été publié directement dès la première publication du roman (1962), et Kubrick, quand il fit l'adaptation en scénario du roman, ignorait l'existence de ce dernier chapitre ; ensuite, il a dit que même s'il avait eu vent de ce dernier chapitre, il l'aurait laissé de côté quand même, car selon lui, il brise un peu la cohésion du roman.
Dans cet ultime chapitre, on découvre Alex, vieilli de quelques années mais tout de même dans les 20/25 ans, qui travaille et gagne de l'argent, mais continue de diriger une bande de jeunes voyous, plus jeunes que lui ; mais le coeur n'y est plus, et le fait de voir un de ses anciens droogs ('amis', en nadsat) marié avec un gosse lui donne des idées de faire de même... Une fin pleine de morale, mais un peu facile, et on comprend parfaitement que Kubrick ne l'aurait pas adaptée s'il l'avait connue avant de faire le scénario. Personnellement, j'ai lu le roman un nombre hallucinant de fois, et la première édition que j'avais du roman (foutue à la poubelle depuis, car partie en capilotade à force de la lire et relire !) ne comprenait pas ce chapitre. En rachetant le livre par la suite, j'ai découvert l'existence de ce chapitre ultime. J'étais d'abord content, un truc de plus à lire, que je ne connaissais pas, mais j'ai vite déchanté : on sent que Burgess a écrit ce final pour calmer le jeu, mettre de l'eau dans son vin, mais ça ne fait pas très cohérent avec le précédent chapitre (Alex qui, remis de sa tentative de suicide désespérée, est redevenu aussi brutal qu'avant son traitement), qui apportait, lui, une fin bien saisissante et, surtout, logique au roman. Cet ultime chapitre est plus un épilogue qu'autre chose, et en tant que tel, c'est un mauvais épilogue, mais bon, passons, et reparlons du film.
Le film, 2h15 en tout, est interprété par Malcolm McDowell, Patrick Magee, Michael Bates, Adrienne Corri, Warren Clarke, Aubrey Morris, Philip Stone, Steven Berkoff, Paul Farrell, Carl Duering, Miriam Karlin, Godfrey Quigley, Anthony Sharp et David Prowse. Si l'on excepte McDowell et Magee, aucun acteur n'est connu (certains d'entre eux comme Magee, Stone ou Sharp, joueront dans d'autres films de Kubrick, comme Barry Lyndon, pour les trois cités), et McDowell, à l'époque de la sortie du film, s'il n'était pas un inconnu (il avait joué le rôle principal dans If... de Lindsay Anderson, Palme d'Or à Cannes en 1968 ou 69, film qui fit grand bruit, c'est en voyant ce film que Kubrick voulut de lui pour le rôle), n'était tout de même pas une star. Aujourd'hui encore, même s'il a beaucoup tourné, son plus grand rôle reste Alex dans Orange Mécanique. Le scénario est signé Kubrick lui-même, et la musique est un mix entre morceaux de musique classique (Beethoven, Rossini, Elgar...) et thèmes de musique contemporaine signés Walter Carlos (qui, désormais, s'appelle Wendy Carlos, il a depuis longtemps changé de sexe), certains basés sur de la musique classique. La musique fit grand bruit, cartonna, fait partie des albums de bandes originales les plus vendus au monde, et des plus réussis. Un seul mot convient pour la décrire : mythique. Comme le film, d'ailleurs, lequel, tout en étant d'une violence parfois à la limite du soutenable (même si on peut trouver pire dans le genre), est aussi et surtout un régal d'humour noir, une comédie cynique, caustique, sombre comme la nuit, et une sorte de conte moral fonctionnant, comme pas mal de films de Kubrick, sur plusieurs parties, et sur le jeu du miroir (Eyes Wide Shut fonctionne aussi de la sorte).
Le film démarre (après un générique d'une simplicité biblique : les titres sur fond de couleurs primaires, rien de plus) par une image qui, direct, frappe, cogne dur : le regard allumé, violent, narquois d'Alex Dellarge (Malcolm McDowell), et la caméré qui recule, zoom arrière, pour laisser la place à la vision d'Alex et ses trois droogs Dim, Georgie et Pete, assis dans un night-club décadent et psychédéliquement décoré (tables en forme de femmes nues, lettrage chelou...), en train de boire du lait que l'on apprend être coupé avec de la drogue. La voix-off arrive, celle d'Alex (en VO, la voix de McDowell, nasillarde, est juste parfaite ; la VF, bien que réussie, n'est pas totalement à la hauteur, malgré des fulgurances), le narrateur de l'histoire (comme dans le roman), qui décrit rapidement sa petite personne, ses amis et ce qu'ils font là. Une fois cette courte description faite, hop, on passe à la scène suivante (un des trucs de Kubrick, c'est qu'il passe directement d'une scène à l'autre, sèchement, sans fondu au noir), qui met dans le bain : Alex et ses amis passent dans un tunnel, aperçoivent un clodo (Paul Farrell) qui chante, bourré, et le tabassent, violemment, à grands coups de pied, de canne. Tout en rigolant. Puis une baston entre la bande d'Alex et une autre bande, celle de Billy Boy (qui s'apprêtait à violer une pauvre jeune fille), puis une virée en campagne avec une voiture volée, direction une maison isolée, celle d'un écrivain (Patrick Magee) et sa femme. Alex se fait passer pour un homme victime d'un accident, afin de se laisser entrer dans la maison ; une fois à l'intérieur, les droogs saccagent tout, tabassent le mec, violent la femme sur fond d'Alex chantant (horriblement faux) Singin' In The Rain et disant au pauvre mec, viddy well, brother, viddy well ! ("Mate-bien, mon frère, mate-bien !") Après ça, le groupe repart en night-club (qui s'appelle le Korova Milk-Bar), pour boire un dernier coup avant de rentrer chez eux, et Alex s'en prend à Dim (Warren Clarke), qui avait eu l'audace de siffler narquoisement sur du Beethoven, ce qu'Alex n'apprécie pas du tout.
Il faut dire qu'Alex, qui vit encore, dans un appartement situé dans une barre d'immeubles assez glauque, chez ses parents, qu'Alex, donc, est un fana de musique ; de grande musique. Il voue un culte absolu à "Ludwig Van" (c'est ainsi qu'il l'appelle) Beethoven, et d'ailleurs, une fois rentré chez lui, bien qu'en pleine nuit, il met de la musique, Beethoven, et pendant que l'Ode A La Joie (9ème Symphonie) surgit des enceintes, il a des visions décadentes, camées, dingues et, en même temps, assez drôles. Le lendemain, Alex reçoit la visite de Monsieur Deltoid (Aubrey Morris), son éducateur, qui se préoccupe de savoir qu'il ne va plus trop à l'école. Après lui avoir certifié qu'il filait droit, Alex part au drugstore, s'acheter un disque, et ramène chez lui deux jeunes filles qu'il se tape chez lui. Puis c'est le retour à la nuit, de nouvelles exactions en perspective, et l'une d'entre elles (pénétrer dans une maison isolée tenue par une femme vivant seule avec ses chats, maison dans laquelle des objets de valeur se trouveraient) vire au cauchemar par Alex : il tabasse violemment la femme (Miriam Karlin) une fois rentré chez elle, et alors qu'il tente de se barrer, ses droogs lui tendent un piège, l'assomment, et Alex, impuissant, attent l'arrivée de la police. Pendant le (plutôt violent) interrogatoire, il apprend que la femme est morte. Direction la prison pour Alex. Le séjour se passe sans trop de problèmes malgré la hargne du chef des matons (Michael Bates, impayable), Alex devient le chouchou de l'aumônier de la prison (Godfrey Quigley), et un jour, après avoir entendu parler d'un traitement miracle qui garantirait que la personne guérie ne serait jamais plus violente, Alex demande à l'aumônier de jouer de ses relations pour lui. Au cours d'une visite du nouveau Ministre de l'Intérieur (Anthony Sharp), Alex se fait remarquer, et on le choisit comme patient-test pour le traitement, la méthode Ludovico.
Cette méthode consiste à faire visionner, de force (et après l'avoir passablement drogué), des films ultra-violents à Alex. D'abord content de voir de la violence, qu'il adore, il commence, progressivement, et dès la première séance, à se sentir très mal. Au bout de la fin des séances, il est guéri, le simple fait de tuer une mouche le rendrait malade comme un chien. Désormais totalement inoffensif (mais incapable de choisir entre le bien et le mal, une sorte de zombie vivant), Alex est relâché. Son retour dans la vie de tous les jours sera difficile : ses parents ont loué sa chambre et ne peuvent virer le locataire comme ça ; un clodo lui demandant une pièce le reconnaît (c'est le clochard qu'Alex et ses amis avaient tabassé) et s'en prend à lui, sans qu'il ne puisse réagir ; la police arrive pour calmer le jeu, et Alex reconnaît en eux Dim et Billy Boy, un de ses anciens droogs et un autre ancien délinquant (les deux, pour s'amuser, embarquent Alex en pleine campagne pour le tabasser avant de le laisser sur la route). Alex gagne, transi de froid et meurtri, une maison isolée, afin d'obtenir un refuge. C'est la maison de l'écrivain tabassé, qui ne le reconnaît pas (Alex était, alors, masqué), mais lui, si, et il se sent mal à l'aise. Pendant la soirée, l'écrivain, qui semble avoir un grain de folie, vit désormais en fauteuil roulant, et dont la femme n'a pas survécu, commence à avoir un comportement des plus bizarres.
Alex sent qu'il est démasqué, et en effet, sa nourriture a été droguée, et il tombe dans les vapes. A son réveil, il est enfermé dans une pièce à l'étage d'une maison, et une sono, en bas, fait retentir du Beethoven, musique qu'Alex a avoué, avant, ne plus pouvoir écouter sans que ça ne lui rappelle de la violence et, donc, ne le rende malade. L'écrivain fou, en l'enfermant et en lui faisant écouter de force du Beethoven, n'a qu'une envie, le forcer à se tuer, ce qu'Alex fait, en se défenestrant. Il ne se tue pas, mais se réveille, cassé de partout, à l'hôpital. Des tests psychologiques tendent à prouver que le choc lui a 'remis les idées en place' : il peut penser à de la violence sans avoir de nausées, il est redevenu comme avant et, donc, s'estime guéri. Ce qui est pour lui plaire, surtout que le Ministre de l'Intérieur, venu en visite officielle, lui fait une alléchante proposition : un boulot sympa, bien payé, pas fatigant, comme cadeau d'excuses du Gouvernement, qui l'a utilisé comme cobaye sans se soucier des conséquences. Une ultime vision d'Alex, avant la fin du film, nous prouve qu'il est vraiment guéri : il s'imagine baiser une fille pendant que des gens en costume l'applaudissent !
Film violent, Orange Mécanique, alias A Clockwork Orange en VO, est aussi, donc, un conte moral (assez amoral, en fait, vu le final !) et surtout, surtout, une comédie noire, une satire de notre société, de plus en plus brutale et violente (plus encore maintenant qu'au moment de la sortie du film). On imagine aisément le traumatisme que ce film, sans lequel un film comme Funny Games n'aurait sans doute jamais vu le jour, a suscité à sa sortie : tout en ayant été un carton au box-office (pour la Warner, ce fut un de leurs plus gros succès ; au fait, ce film fut aussi le premier à être fait en son Dolby Stéréo), Orange Mécanique a été un scandale monstre, on a reproché au film sa violence complaisante, l'amoralité de son héros et de son histoire... Kubrick a voulu choquer, et il a entièrement réussi son pari, mais il n'a pas oublié, en même temps, de faire un grand film, le genre de film qui reste totalement monstrueux plus de 40 ans après sa sortie. Un choc absolu, donc. Pour finir, si vous vous demandez ce que signigie le titre du film, sachez que ça n'a au final rien à voir avec le fruit ou la couleur orange. Pas expliqué dans le film, le titre est cité dans le roman, Alex hurlant aux personnes lui ayant fait subir le traitement Ludovico s'ils ne le prendraient pas pour une orange mécanique. C'est aussi, dans le roman, le nom du livre que l'écrivain est en train d'écrire quand il se fait agresser par Alex et ses droogs (notons que cette sinistre mésaventure est réellement arrivée à Anthony Burgess, c'est ce qui lui a donné l'idée de faire ce roman). Une orange mécanique, c'est un homme qui ne peut plus choisir, vit mécaniquement, comme un robot. Comme Alex dans la dernière partie du film. 'Orange' vient du mot 'orang', mot malais qui signifie 'homme' (comme dans 'orang-outan'). Tout simplement (dit-il d'une voix satisfaite) !