SPOILERS...
En 1976, Roman Polanski réalise son premier film vraiment français, Le Locataire, d'après un roman de Roland Topor ("Le Locataire Chimérique"). La raison de son retour en France (Polanski est d'origine polonaise, sa famille a péri en partie dans les camps, mais il est né à Paris, et est donc Français) est assez spéciale. Tout le monde sait ce qui est arrivé à Polanski aux Etats-Unis peu de temps après la sortie, en 1974, de Chinatown (film qui précède Le Locataire dans sa filmographie) : accusations d'attentat à la pudeur et de viol sur une mineure. Si la jeune fille a ensuite avoué avoir été consentante, il n'en restait pas moins que c'était une mineure. Polanski a du fuir les U.S.A. pour éviter la prison, et il est, depuis, toujours interdit d'accès là-bas (même si les choses ont commencé à bouger, Polanski voulant 'règler cette affaire'). Donc, le prochain film de Roman Polanski sera tourné en France.
Le Locataire est le troisième volet de la saga des 'appartements maléfiques', le premier étant Répulsion, et le second, Rosemary's Baby. Trois films très effrayants, donc le troisième et dernier (celui dont je parle ici, donc) est incontestablement le meilleur, et le plus tétanisant. Autant le dire tout de suite, Le Locataire est terrifiant, et est aussi le plus grand film de Polanski avec Le Pianiste.
Roman Polanski interpréte le rôle principal, celui d'un modeste employé de bureau d'origine polonaise (ce qui lui permet de résoudre le petit problème de son accent) mais naturalisé français, un homme timide, effacé, simple, du nom de Trelkovsky. Cet homme recherche un appartement à louer, et apprend qu'il y en à justement un qui se libère, dans un vieil immeuble de Paris (le genre de ceux où les toilettes sont communes sur le palier). La locataire précédente, une certaine Simone Choule, vient de se suicider en se jetant par la fenêtre donnant sur la cour intérieure ; s'étant vautrée dans une verrière située juste en-dessous de la fenêtre, elle est dans un état impossible, et malheureusement, rien ne peut la sauver. Trelkovsky visite, avec la concierge (Shelley Winters, antipathique et concierge par excellence, même son petit chien s'appelle Mirza !), et loue cet appartement, en attendant la mort de Mme Choule pour pouvoir y vivre. Les conditions financière de reprise et le loyer lui conviennent.
Trelkovsky se rend à l'hôpital, pour voir cette fameuse Mme Choule. Il la voit, allongée sur son lit, entièrement couverte de bandages - comme une momie, une des nombreuses allusions à l'Egypte du film - et rencontre une amie de la suicidée, Stella (Isabelle Adjani, pas encore énervante). Au moment où la suicidée, à moitié dans le coaltar, regarde Trelkovsky, elle se met à hurler, un hurlement terrible.
Elle finit par mourir, malheureusement (mais, sans être méchant, pas pour Trelkovsky !). Trelkovsky se rend à son enterrement, mais sent, dans l'église, quelque chose de pas normal : le sermon du prêtre, soudainement, devient morbide, parlant de vers, de pustulences, de pourriture mortuaire. Puis le prêtre se met à parler à Trelkovsky, directement, lui demandant ce qu'il venait faire dans 'son' église, que c'était la mort qui l'attendait. Bien sûr, on imagine bien qu'il n'y à que Trelkovsky pour entendre ça, mais cette scène anticipe bien du reste du film.
Trelkovsky pend la crémaillère de son appartement, invitant ses collègues de boulot (Romain Bouteille, Bernard Fresson, Josiane Balasko - pas encore connue ; au fait, Jugnot et Michel Blanc ont aussi un léger rôle dans le film). La fête, qui a lieu un samedi soir, est vite interrompue par les remontrances d'un locataire du dessus (Claude Piéplu, limite flippant), lui ordonnant de faire cesser le vacarme. Après tout, le propriétaire de l'immeuble, Mr Zy (Melvyn Douglas) lui avait bien prévenu : pas de bruit, c'est un immeuble respectable qui entend bien le rester. Trelkvosky s'excuse, et fait partir ses amis, quelque peu bourrés et vexés, et ne se gênant pas pour le faire savoir dans l'escalier de l'immeuble...
Au fur et à mesure des jours qui passent, Trelovsky vit sa vie, même si de curieux évênements (même si anodins à première vue, mais ils finissent par devenir effrayants par le répètitivité) lui font croiser les anciennes habitudes de la précédente locataire : découverte d'anciens vêtements de Mme Choule dans un placard - pourtant bien vidé avant son emménagement -, allusions de ses voisins ('la précédente locataire mettait des chaussons le soir, c'était plus confortable'), mais aussi du propriétaire du café d'en bas, lui servant automatiquement du chocolat chaud et des Marlboro, ce que Mme Choule prenait à chaque fois. De même, sans s'en rendre compte, Trelkovsky s'assoit toujours à la place attitrée de Mme Choule... Trelkovsky découvre un trou dans un mur de son appartement, bourré de coton, et dans lequel se trouve une dent humaine. De la fenêtre de son appartement, il aperçoit les toilettes, et a une vue imprenable. Il remarque souvent des gens, immobiles pendant des heures, dans les toilettes.
Un soir, un homme (joué par le toujours parfait Rufus) rend visite à Trelkovsky. Ancien amant éconduit de Mme Choule, ignorant le suicide de cette dernière, il croyait qu'elle habitait toujours ici. trelkovsky lui apprend la terrible nouvelle, et l'homme est mortifié, s'en voulant de ne jamais avoir pu avouer son amour pour Simone Choule. Revenant du Louvre, il lui avait même envoyé une carte postale du musée (que Trelkovsky recevra quelques jours plus tard : la photo représente un sarcophage égyptien). Après une soirée de beuverie dans les bars, Trelkovsky laisse partir l'homme, non sans tristesse : au cours de la soirée, le contact s'était bien fait entre eux.
Un jour, une locataire, vivant avec sa fille handicapée des jambes, sonne à sa porte, lui demandant si c'est lui qui a porté plainte contre elle pour tapage nocturne. Elle parait désemparée, faible. Trelkovsky lui certifie que non (et c'est la vérité), et lui dit de ne pas s'en faire. La femme, rassurée, le remercie et part. Seulement, quelques jours plus tard, une certaine Mme Dioz (Jo Van fleet, assez terrifiante) lui rend visite pour lui demander de signer une pétition afin de virer de l'immeuble cette femme et sa gosse. Trelkovsky refuse de signer, et Dioz lui conseille alors de ne jamais se plaindre de bruit dans l'immeuble, car après un tel refus, il ne serait pas écouté.
Un soir, rentrant chez lui, Trelkovsky se sent agressé par une femme, qui ne semble être personne d'autre que Mme Dioz. En fait, comme on le voit, il n'y a personne d'autre que lui dans le hall de l'immeuble, c'est son imagination qui lui joue des tours. Un autre soir, Trelkovsky, malade, se rend aux W.C., et, une fois arrivé, découvre deux choses assez étranges : la première, c'est que les murs sont couverts d'hiéroglyphes égyptiens. La seconde, terrifiante, c'est que de la fenêtre des toilettes, d'où il se trouve, il aperçoit un autre lui-même en train de l'observer à la jumelle, de la fenêtre de son appartement... A partir de cette séquence traumatisante, Trelkovsky perd définitivement les pédales. Il retourne, presque en rampant tellement il est malade, à son appartement. La caméra se focalise sur la fenêtre, et sur la vue qu'on en a des chiottes. Et on aperçoit, dans les toilettes, une forme momifiée retirant peu à peu ses bandages. Mme Choule ? Well, could be...
Trelkovsky se met à s'acheter une perruque, des escarpins, du rouge à lêvres, et enfile la robe de Mme Choule qu'il avait découvert dans son placard quelques temps auparavant. Il commence de plus en plus à s'identifier à l'ancienne locataire (ce que toutes les allusions, fictives ou réelles, n'ont rien fait pour éviter). Un matin, il se réveille avec une curieuse sensation dans la bouche : il lui manque une dent. Celle présente dans le mur ? Ou une autre ?
Trelkovsky n'en peut plus, il agresse un enfant dans un square, pète les plombs en beauté, croit aperçevoir sa tête par la fenêtre alors qu'il ne s'agit que d'un ballon que des enfants font rebondir très haut, et finit, un soir, par se jeter par la fenêtre. Comme Mme Choule. Les locataires, alertés par le bruit (car il s'est fracassé dans la verrière, comme qui-vous-savez), se ruent dans la cour, à leurs fenêtres. Et ils assistent à un spectacle terrifiant, Trelkovsky (qui, de son coté, les voit tous comme des démons effrayants applaudissant à son suicide - la cour intérieure se transformant d'ailleurs en un gigantesque théâtre) se relevant, remontant les marches de l'immeuble pour se ruer à nouveau dans son appartement, difficilement, et se refoutre en l'air. Cette fois, pour de bon.
Scène finale du film : Stella (j'avais oublié de le dire, mais Stella devient très amie avec Trelkovsky, ce qui occasionne quelques passages reposants dans le film) rendant visite à Trelkovsky à l'hôpital. Trelkovsky est exactement comme Mme Choule au début, momifié. Aperçevant, au travers de ses bandages, un autre lui-même à coté de Stella, il pousse un hurlement terrifiant, et le film s'achève ainsi...Il n'est pas interdit de se demander si la scène d'hôpital du départ et celle de la fin ne sont pas les mêmes.
Le Locataire, sur une musique glaçante et Philippe Sarde (jouée par un instrument rarissime, le glass harmonica - assemblage de plusieurs verres de cristal que l'on fait 'siffler' en même temps), est un des films les plus effrayants de tous les temps. Tout comme Rosemary's Baby (et même encore plus que ce film), il est déconseillé de le voir avant de déménager. Il existe même une légende urbaine à propos de ce film : il serait tellement terrifiant que la majorité des gens l'ayant vu ne l'auraient vu qu'une seule fois. Personellement, je l'ai vu un grand nombre de fois, et toujours avec la même sensation de malaise. On sent bien la folie monter dans ce film, on a pitié pour le personnage, on s'imagine être à sa place...
Le meilleur film de Roman Polanski. Point final.